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Agrippina, du théâtre à l’état pur

Tout enregistrement lyrique signé de est un petit événement en soi. On se jettera donc sans réserve sur cette nouvelle version d'Agrippina, ouvrage composé pour Venise en 1710, l'un des plus grands triomphes de lors sa période italienne.

Encore fortement influencé par la tradition vénitienne du XVIIe siècle, au moment où commençait déjà à se profiler la grande réforme métastasienne, l'ouvrage ne recule ni devant le mélange des genres, ni devant les outrances dramatiques de toute sorte. Du théâtre, de la comédie à l'état pur, mais également l'émotion et la vérité des sentiments. Et quelle musique ! On reconnaîtra au passage nombre de morceaux tirés de quelques cantates ou oratorios romains, ou encore quelques « tubes » que Haendel allait recycler plus tard dans ses opéras londoniens.

C'est la dimension théâtrale que privilégie cet enregistrement, et qui le classe d'emblée au dessus de toutes les autres versions discographiques, y compris celle de Gardiner qui faisait jusqu'à présent figure de référence. On n'aura jamais entendu des récitatifs aussi vivants, aussi pleins d'imagination, qui feraient presque regretter parfois qu'ils soient interrompus par certains airs. C'est dire ! L' est très certainement le plus bel orchestre baroque que l'on puisse entendre de nos jours, et le continuo est d'une inventivité sans faille, d'une beauté à couper le souffle.

La distribution, extrêmement homogène, est de la plus grande qualité, et l'expérience de la scène – illustrée par le DVD figurant dans le coffret – se fait largement sentir. , qui ne parvient peut-être pas toujours à faire oublier l'extraordinaire prestation vocale de Della Jones dans la version Gardiner, est néanmoins une fascinante Agrippina personnage dont elle fait ressortir toutes les contradictions et ambiguïtés. En Poppea, manipulatrice en puissance, joue sur la séduction et la luminosité de son timbre pour le plus grand bonheur de tous, amants – ils sont trois… – et auditeurs confondus. fait lui aussi valoir les belles couleurs de son instrument en Ottone, incarnant un personnage émouvant et poétique, perdu et isolé dans un monde de brutes dont le fonctionnement lui échappe. Tout aussi compétents sont les autres comparses de l'ouvrage, à commencer par le Nerone ardent et juvénile de Jennifer Rivera, moins convaincante peut-être que les grands contreténors (Ragin, Jaroussky…) qui se sont illustrés, de par le passé, dans cet impayable rôle de sale gamin appelé à devenir un des grands monstres de l'histoire de l'humanité. Des deux basses, on préfèrera , toujours aussi bien chantant en Pallante, à , dont l'instrument désormais fatigué et pauvre en couleurs ne rend pas justice à la sublime musique composée par Haendel pour Claudio. , égal à lui-même, parvient encore, malgré l'usure de sa voix, à donner un incroyable relief dramatique à son Narciso. Daniel Schmutzhard, qui a peu à faire en Lesbo, s'intègre sans problème à un ensemble parfaitement rôdé, preuve une fois encore que c'est le travail et l'esprit d'équipe qui, dans ce type de répertoire, s'avèrent les plus payants.

Il est temps de prouver que les grands opéras de Haendel sont aussi du théâtre, et l'on rêve d'entendre Jacobs – à qui l'on doit déjà de superbes enregistrements de Rinaldo, Flavio et Giulio Cesare – diriger certains des grands opéras héroï-comiques que Haendel composa pour Londres. À quand une nouvelle intégrale de Partenope, Serse, ou Deidamia ? Gageons, devant la réussite de cette Agrippina, que les projets ne manqueront pas.

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