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Amadis de Gaule à Versailles

Étrange période que ce tournant de 1780, à Paris. Les derniers feux de l'influence de Jean-Philippe Rameau s'estompaient ; le jeune et sensible Louis XVI (il est né en 1754) et sa fraîche épouse étaient les bornes-témoin d'une nouvelle sensibilité, à fleur de peau. Cependant, cette génération ne parvint pas à prendre congé des héros qui triomphaient dans les tragédies lyriques, toujours jouées – certes, à condition d'être remaniées au goût du jour – à l'Académie royale de musique.

En 1777, y est nommé un nouveau directeur : Anne-Pierre-Jacques Devismes qui désire vérifier si la tragédie lyrique fait toujours sens. Et, quitte à en interroger les mânes, autant enjamber Rameau et remonter aux origines : au tandem Lully-Quinault. Entre autres projets et pour ne pas arbitrer la querelle entre gluckistes et piccinistes, il choisit le compositeur Jean-Chrétien Bach, le seul Européen (il travailla à Milan et à Londres) des quatre compositeurs qu'engendra le Cantor de Leipzig, et lui commanda, chèrement, un nouvel ouvrage, dont il choisirait le sujet. choisit le poème dramatique Amadis que, en 1684, Quinault avait composé pour Lully et où il délaissait les antiquités grecque et romaine, au profit des héros de la chevalerie médiévale. Tenu à un impeccable sens de la famille, Anne-Pierre-Jacques Devismes confia à son frère, Alphonse Devismes de Saint-Alphonse le soin d'aménager (de cinq actes & un prologue, il passa à trois) le livret de Quinault. Voici donc cet Amadis de Gaule, dans une co-production de l'Opéra-Comique et de Château de Versailles Spectacles, pour deux soirées à l'Opéra royal, avant quatre représentations, du 2 au 8 janvier 2012, à la Salle Favart.

D'emblée, l'œuvre frappe par sa trame symphonique, continue et dense, au point de sembler être une tragédie symphonique. Là, plus que dans le livret, souffle une tension dramaturgique : circulations motiviques et rythmiques d'une scène à l'autre ; écriture chorale qui combine effets de masse et subjectivité ; savant usage des timbres orchestraux, dans le sens d'une individualisation ; et place structurante de la danse (au-delà de son usuelle fonction décorative). L'écriture vocale ne valorise pas spécialement la langue française, notamment sa prosodie : le compositeur y met en œuvre la vocalité internationale, fortement teintée d'usages italiens, qui dominait alors l'Europe. Dans les limites de la moindre cohérence théâtrale que les rectifications du livret de Quinault a subies, chaque personnage est dessiné de façon intéressante, même si, efficacement secondé par le merveilleux, Amadis n'accomplit presque aucun acte héroïque. Sans être urgente, la résurrection de cet ouvrage n'est donc pas sans pertinence.

a affronté une contrainte : son dispositif scénographique devait être fait de décors « plantés » (aux ères baroque et classique, ils reconstituaient l'illusion de la perspective) afin d'enrichir la collection que, production après production, rassemblent le Centre de musique baroque de Versailles et l'Opéra royal au Château de Versailles. Grâce au travail d'Antoine Fontaine, de nécessité il a fait intelligente vertu. Aux costumes, que Renato Bianchi a particulièrement réussis, a été confiée la mission d'établir les différentes strates temporelles – le temps de Lully, l'an 1779 et l'époque de la chevalerie – que porte ce spectacle. Sans jamais être spectaculaire, la direction d'acteurs est précise et aide à la finesse interprétative qui prévaut dans cette mise en scène. Indiscutablement, appartient à cette famille de metteurs en scène (l'accompagnent des figures telles que ou Christian Schiaretti) qui ont, chevillée au corps, l'éthique du théâtre de service public.

Pour ses quatre rôles principaux, le plateau vocal appelle une remarque générale : avant même d'examiner les mérites respectifs de chacun, il est sous-distribué. Une fois rappelé une évidence (au XVIIIe siècle comme de nos jours, les forts calibres vocaux côtoient les chanteurs de chambre), la dense écriture orchestrale et des rôles maléfiques (Arcabone et Arcalaüs) imposent des formats vocaux qu'on assigne usuellement aux opere serie de Rossini ou aux premiers opéras du jeune Verdi. On signalera tout de même la concentration inconstante qui empêche de camper largement le rôle-titre ainsi que la monochromie et la médiocre élocution française d' (Arcabone). Quant à (Arcalaüs), sa puissance vocale impressionne mais il montre un moindre intérêt à la finesse interprétative. On se gardera de toute appréciation à l'égard d', tant, manifestement, elle est entravée par un rôle passif et pâle. Par contre, dans deux rôles secondaires, fait merveille et communique sa joie d'être présente.

À la tête de son alerte Cercle de l'Harmonie aux vents fruités, donna à cet ouvrage tout son éclat. Grâce à ses tempi évidents et à sa juste coordination entre plateau et fosse, il a fait surgir la poétique orchestrale et dramaturgique de cet Amadis de Gaule qui, depuis plusieurs années, lui tenait tant à cœur.

Signalons que Mardaga et le Centre de musique baroque de Versailles coéditent un remarquable ouvrage, intitulé Amadis de Gaule et coordonné par Jean Duron, qui dépasse, de loin, ce seul opéra, pour cerner les derniers feux de l'opéra baroque.

Crédit photographique : (Arcabone) © Pierre Grosbois

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