- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Florent Schmitt somptueux par Jacques Mercier

Nous avons reçu ce CD avec quelque retard, mais il est d'une importance telle qu'il ne peut être passé sous silence. La redécouverte et l'approfondissement de l'œuvre de (1870-1958) sont en effet réconfortantes : il fut un temps où l'on ne connaissait de sa riche production que les seuls Psaume XLVII op. 38 (1904) et La Tragédie de Salomé op. 50 (1907), certainement des chefs-d'œuvre incontestés, mais ne témoignant que de la période « Prix de Rome » du compositeur. Cette redécouverte et cet approfondissement, nous les devons à certains indépendants courageux (dont les labels britanniques Hyperion et Chandos), mais aussi à l'étiquette française Timpani qui s'est toujours fait un point d'honneur d'élargir sa prospection d'œuvres françaises peu ou pas jouées : le disque qui nous est proposé ici, orné d'une huile sur toile très suggestive de Jean-André Rixens (1846-1925), La Mort de Cléopâtre (1874), en est un jalon supplémentaire.

Les six épisodes symphoniques qui constituent la musique de scène Antoine et Cléopâtre op. 69 (1920) d'après Shakespeare et André Gide, répartis par après en deux suites d'orchestre, résultent d'une commande d'Ida Rubinstein pour l'Opéra de Paris qui en donna la première représentation le 17 octobre 1920. Une fois de plus, par tous les sortilèges de son art, dévoile son attirance d'une certaine forme sublimée d'un orientalisme qui le fascinera toute sa vie, mais par la même occasion, il rend hommage à la féminité dans ce qu'elle a de plus troublant, voire voluptueusement vénéneux et destructeur : Salomé, Cléopâtre, Salammbô, Oriane seront autant de caractères féminins forts qui lui inspireront ses chefs-d'œuvre les plus accomplis, les plus beaux. Antoine et Cléopâtre en est assurément l'un des plus subtilement élaborés et réussis, surpassant la version définitive de La Tragédie de Salomé, non seulement en durée (45 minutes), mais surtout en raffinement et profondeur d'inspiration, par une complexité d'écriture anticipant le langage d'Olivier Messiaen, et frisant parfois l'atonalité. Il fallait bien cela pour exalter ce vaste poème de l'Amour et de la Mort.

Les deux Mirages op. 70 regroupent en leur orchestration de 1923 deux pages distinctes initialement écrites pour le piano : La Tristesse de Pan, contribution de Schmitt en 1920 à un cycle intitulé Le Tombeau de Debussy, et La Tragique Chevauchée (1921). Le renouveau païen symbolisé par Pan a attiré bien des compositeurs du tournant du XIXe – XXe siècle, à commencer par Debussy et Ravel, mais aussi, hors de France, Bax et Bantock. Avec La Tristesse de Pan, , lui, a choisi la forme de passacaille pour évoquer les états d'âme et la rêverie du dieu devant la mort : il ne pouvait rendre ainsi hommage plus émouvant à Claude de France. Quant à La Tragique Chevauchée, elle est associée au célèbre poème de Lord Byron Mazeppa (1819) qui fut notamment source d'inspiration pour Liszt. Florent Schmitt excelle à y juxtaposer violent ostinato rythmique décrivant la chevauchée, et mélopée plaintive, le tout en un crescendo angoissant.

Ces deux partitions reçoivent des interprétations somptueuses et colorées, précises et admirablement structurées de l' qui honore ainsi de la plus convaincante manière l'enfant de la région, et de son chef qui se retrouve en pays de connaissance, puisqu'il avait déjà enregistré auparavant les trois suites de Salammbô (RCA), sans oublier un superbe disque Pierné chez Timpani (1C1117). Les deux Mirages de Schmitt nous sont donnés en première discographique mondiale, tandis qu'Antoine et Cléopâtre surclasse aisément l'exécution antérieure de Leif Segerstam chez Cybelia (CY842).

Nous avons le souvenir d'une interprétation radiodiffusée vraiment extraordinaire par d'une symphonie d'Albéric Magnard (la Symphonie n°3, si notre mémoire ne nous fait pas défaut) qui mériterait à coup sûr une parution en CD. La France a la chance d'avoir un chef des plus remarquables qu'il serait justice d'honorer à la mesure de son envergure et de placer au même niveau que ses prédécesseurs de légende, Pierre Monteux et Charles Münch.

(Visited 663 times, 1 visits today)