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La trilogie Da Ponte à la Fenice : Don Giovanni

La reprise de la production 2010 à la Fenice de Don Giovanni, mis à part un changement dans la distribution, propose peu ou prou la même vision dramatique et décorative. Parlons d'emblée du meilleur, à savoir la distribution vocale.

Ce soir du 28 mai, tenait le rôle-titre avec brio. Bien en voix, sans trop de caricatures machistes, il occupe avec beaucoup de présence d'immenses espaces qui lui sont offerts. Ce Don Giovanni-là ne fera pas d'ombre aux personnages qui tournent autour de lui et en premier lieu au Leporello de . L'aspect bouffe du ballet n'est pas évacué dans ce cadre bien austère. La détente nécessaire aux quiproquos qui émaillent ici et là cette journée somme toute sinistre est portée par lui seul, tant Don Giovanni a un comportement tellement ambigu dans ses actes qu'on ne peut parler de bouffonnerie à son égard. Quoi qu'il en soit, son Leporello tient tête à son maître vocalement et scéniquement. Au total, un bon équilibre de forces est mis en place par les deux artistes. Les voix sont bien posées et les deux barytons-basses assurent un très bel ensemble bien équilibré. Présent au début et à la fin, le Commandeur de ne laisse pas un souvenir mémorable et oublie de nous effrayer à l'avant-dernière scène. Dernière voix grave, ne pâlit pas à leurs côtés de même que dans un Don Ottavio difficile à incarner face à ces poids-lourds vocaux. La tessiture légère et un peu métallique du ténor donne pourtant du brillant et une lumière nécessaires.

Des trois sopranos émergent aisément l'excellente , dont le « non mi dir » du deuxième acte restera sans contexte la plus belle approche vocale de tout opéra : retenue, couleurs, nuances, sons pleins dénués de vibrato, et grand enthousiasme dans le public. La Donna Elvira de paraît nettement plus pâle malgré un jeu de scène davantage animé. Quant à la Erlina de Caterina Di Tonno, on baisse malheureusement d'un cran au niveau de la présence vocale et scénique.

Venons-en en guise de transition à la direction de . Toujours aussi dynamique, réellement présent à tous instants, le choix de tempi vifs n'est pas doublé de contrastes saisissants : c'est bien pour l'équilibre du son intra-fosse et par rapport aux chanteurs, mais moins probant à certains moments cruciaux qui demanderaient beaucoup plus de puissance. On en veut pour exemple les premiers accords de l'ouverture : même s'il s'agit d'un andante de nuance forte, un peu plus de poids, de tenue de son et de largesses de la battue donnerait d'évidence davantage d'ampleur au drame qui s'ouvre et plongerait immédiatement le spectateur dans la tragédie. La scène du Commandeur reproduit le même défaut avec les mêmes notes : elle passe presque sans effroi, sans violence ; une personne distraite ou endormie ne serait ni attirée ni réveillée par ce qui est le sommet tragique de l'œuvre.

D'ailleurs, d'un point de vue général, qu'aurait été ce Don Giovanni si un orchestre avait joué à fond la carte du drame avec les changements de décors voulus par les auteurs alors qu'on se trouve exclusivement dans les appartements du maître ? Le système de plateau tournant anime le changement de scène et donne par moment l'impression voulue d'un monde fou et perdu qui tourne sur lui-même aux instants les plus intenses (la fameuse scène du Commandeur au deuxième acte par exemple). Il faut pourtant avouer de la monotonie dans le décor, proche stylistiquement de ceux des Noces de Figaro de la même production : d'immenses pans de murs aux couleurs pastellisées, éclairages aux bougies, violente lumière qui projette des ombres fantomatiques, sombres couloirs d'une maison-symbole des méandres obscurs de l'esprit dérangé d'un Don Giovanni qui revient hanter les vivants et les mettre à terre dans la scène finale. Ce qui aurait pu tendre vers un huis clos réellement étouffant génère en fait davantage d'ennui visuel que de plaisir morbide. On reconnaît aisément le style du metteur en scène, mais on s'étonne des costumes traditionnels qui détonnent dans le cadre de sa trilogie (voir Cosi fan Tutte et Les Noces de Figaro).

Ballet d'ombres, confusions entre le vivant et la mort, la boucle est bouclée au retour du tableau initial pour la dernière scène : le commandeur allongé sur son lit, battu à mort, les protagonistes survivants neutralisés par le pouvoir d'outre-tombe de Don Giovanni. N'était l'excellence de la distribution, on s'ennuierait bien vite dans ce Don Giovanni, beaucoup plus dramma que giocoso, à l'image des Noces, peu spectaculaire et trop monotone.

Crédit photographique : © Fenice / Michele Crosera

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