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Written on Skin sur la scène de l’Opéra comique

Joué trois soirs à guichet fermé, en ouverture de la saison de l'Opéra Comique et dans le cadre du Festival d'Automne, l'opéra de Georges Benjamin Written on skin, unanimement salué lors de sa création en juillet 2012 à Aix en Provence, suivi aussi par ResMusica au Capitole de Toulouse et à Munich, crée l'événement de la scène lyrique parisienne.

Dans la très belle production de à qui le plateau de la Salle Favart offre un écrin idéal, c'est un en grande forme, dirigé par en personne, qui est cette fois dans la fosse. Sur scène, on retrouve en partie les chanteurs de la création aixoise pour qui Benjamin a écrit les rôles: /The Protector, admirable dans la diversité de ses registres expressifs confinant parfois à l'étranglement ; Barbara Hanniga (lire notre entretien) Agnès, fascinante par la flexibilité de sa voix et la sensualité de son timbre ; merveilleuse aussi par l'aisance magistrale, tant scénique que vocale, dont elle fait preuve dans toutes les situations de son personnage. Le contreténor américain Bejun Mehta de la création est remplacé par /Ange 1-The Boy, lumineux artiste dont la voix ductile et envoûtante confère à l'enlumineur du Moyen-âge une aura mystérieuse et quasi intemporelle. Endossant un double rôle avec une vaillance remarquable, /Angel 2 – Marie et /Ange 3 – John participent avec la même acuité à cette dramaturgie élaborée sur l'histoire occitane du « coeur mangé »; elle raconte la destinée tragique du troubadour Guillem de Cabestany, cruellement puni par son seigneur Raimon de Castel-Roussillon pour avoir abusé des charmes de sa Dame. Après l'avoir tué dans la forêt, le mari arracha le coeur de Guillem, le fit préparer pour le dîner de la manière la plus délicate et le servit à sa femme…

Scellée par la réussite d'un premier opéra Into the little Hill (donné cet été au Festival Messiaen au pays de la Meije), la collaboration de avec son compatriote , lui-même musicien, s'accomplit une seconde fois, dans le contexte de la grande forme désormais, avec Written on skin. La naissance d'un tel chef d'oeuvre laisse bien évidemment présager une complicité durable et fructueuse. L'enregistrement de Written on skin, paru sous le label Nimbus records, vient de remporter le Grand Prix de l'Académie Charles Cros.

Comme dans Into the little Hill, choisit une histoire très ancienne (XIIIème siècle) pour son livret qu'il « monte » de manière virtuose, en intégrant « le choeur des Anges » qui va observer l'histoire d'un point de vue contemporain. Autre trouvaille, ce procédé de narration qui met à distance le jeu théâtral : les personnages sont en effet souvent les narrateurs d'eux-mêmes, dans une manière poétique et originale qui semble appeler la complicité de l'auditeur. Cette façon de mener l'histoire, non sans humour, « donne un cadre aux répliques les plus banales et permet d'éviter tout pathos » explique le librettiste. Sensiblement remaniée, l'histoire du « coeur mangé » ne met pas en scène un musicien mais un enlumineur qui « écrit sur peau » ; l'intrigue au demeurant très banale, confrontant le mari violent et jaloux (The Protector), la femme soumise (Agnès) et l'amant (The Boy) se transforme en une sorte de conte initiatique au cours duquel Agnès se révèle à elle-même dans son individualité, sa féminité et son désir. En cela, elle triomphe, lançant à la figure de The Protector, et juste avant de se jeter du balcon, « qu'elle ne mangera ni ne boira plus rien afin de garder à jamais la saveur de son amant dans sa bouche ». C'est le mari trompé qui est coupable (Golaud et le Roi Marke le sont tout autant), les deux amants sacrifiés offrant un exemple de « Fine amor » qui est idéalisé au Moyen-âge dans la littérature courtoise.

La mise en scène ingénieuse de s'empare de l'idée des deux univers temporels et fait cohabiter l'esprit du Moyen-âge (couleurs, lumière, costumes…) avec un espace contemporain adjacent. Le décor sur deux étages (celui de Vicki Mortimer) ainsi que la présence de quatre « Archivistes » en costumes de ville et toujours en mouvement, donne l'illusion d'un spectacle en train de se faire et joue, de la même manière que le livret, sur l'effet de distanciation.

Sur un texte épuré qu'il dit avoir encore retaillé pour mieux concentrer le propos musical (1heure 40) exerce son art de la ligne à travers une écriture vocale très plastique qui instaure un rapport fusionnel avec l'orchestre; si le texte anglais y est parfaitement compréhensible, il passe toujours par le chant, extrêmement diversifié dans sa conduite et ménageant des tuilages/superpositions de voix chers au compositeur. Le « choeur des Anges » – assimilé par au « choeur de turba » dans les Passions de Bach –  offre des accélérations rythmiques dynamiques et un propos souvent décalé qui commente l'histoire en train de se dérouler.

L'orchestre d'une soixantaine de musiciens, un peu à l'étroit dans la fosse de l'Opéra comique, se déploie jusque dans les loges de côté, la harpe à cour, les deux mandolines et le glass-harmonica à jardin. L'équilibre entre la fosse et le plateau est réglée à la perfection, grâce à la direction de Benjamin et à la faveur d'une écriture orchestrale qui vient richement ourler les voix sans jamais les submerger ; économe autant que coloré, l'orchestre éblouit par sa flexibilité et ses timbres rares, entendus souvent dans leurs sonorités pures; ils servent la dramaturgie et entretiennent des rapports métaphoriques avec l'histoire. Le compositeur s'est saisi des images du livret pour les transmuter en timbres ; le glassharmonica pour les dorures de l'enlumineur; les grelots de traîneaux pour le passage des saisons, la viole de gambe – que Benjamin découvre avec les Fantaisies de Purcell – pour la grâce féminine; des galets entrechoqués dans la troisième partie ajoutent au mystère et à la poésie de l'écoute d'une musique éminemment sensuelle, subtile autant que raffinée, qui confine au merveilleux.

Crédit photographique : (Agnès) et (The Protector) ; (Agnès) et (The Boy) © Julien Etienne

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