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Tugan Sokhiev dirige Boris Godounov à Pleyel

Nommé tout récemment directeur musical et chef d'orchestre du Théâtre du Bolchoï, était ce soir à la tête de l'Orchestre National de Toulouse, avec lequel il va poursuivre sa mission, pour diriger en version de concert l'opéra Boris Godounov de , donné deux jours avant à la Halle aux Grains de Toulouse. La production, qui invite le choeur basque Orfeon Donostiarra, fait l'objet d'une tournée de cinq concerts en Espagne.

C'est la première version en quatre parties (1869) donnée sans entracte qu'a choisie de diriger , une partition que Moussorgski n'entendra jamais de son vivant. Il se verra en effet contraint de la modifier et de l'agrandir (version 1872) à la demande du comité de lecture des théâtres impériaux; sans doute dérangés par la vision aussi pessimiste d'un monde finissant, les membres de l'institution russe réclamèrent au compositeur des rôles féminins et une histoire d'amour…

Le livret, de la main de Moussorgski, est une adaptation du drame historique de Pouchkine repensé en fonction du contexte politique et social de la fin du XIXème siècle miné par le ferment révolutionnaire. Le peuple, s'exprimant par le biais du melos russe, y est le personnage central face à Boris qui a fait tué le tsarévitch pour accéder au trône. L'histoire gravite autour de ce crime, révélé dès le deuxième tableau par le moine Pimène. Il donne au jeune novice Grigori, qui a écouté le récit, l'idée de se faire passer pour le tsarévitch qui aurait eu son âge. Le doute et le trouble s'emparent alors de Boris confronté à sa conscience et assailli par le remord qui le mènera à la folie et à la mort.

Face à un orchestre relativement restreint (les salves de cloches du couronnement passent ce soir à travers les haut-parleurs), donnait à entendre l'orchestration originale de Moussorgski, beaucoup moins luxuriante que celle de Rimski-Korsakov dans la révision qu'il fait de l'oeuvre après la mort de son compatriote.

C'est la célèbre basse italienne – le premier italien à chanter Boris au Théâtre du Bolchoï – qui assurait le rôle titre. L'envergure dramatique qu'il confère au personnage est très impressionnante même si la voix, surtout dans la sublime troisième partie, n'a pas la profondeur et « le grain russe » pour épouser les courbes expressives du chant moussorgskien. Pour autant, les graves abyssaux de Furlanetto tout comme l'émotion qui étreint cette voix robuste au moment de la mort de Boris forcent l'admiration. A ses côtés, le ténor anglais (Le Prince Chouïsky) fait valoir un timbre très lumineux mais entravé par un vibrato excessif et un registre aigu un rien tendu. Si la basse lithuanienne (Pimène) ne révèle pas tout son potentiel dans son récit initial, son intervention à la toute fin de l'opéra met en valeur l'éloquence et le rayonnement d'une voix vibrante et profonde. La voix bien projetée du ténor ukrainien dispense clarté de l'élocution et énergie. Dans le trio des dames de la deuxième partie se distingue (Feodor -rôle travesti), par l'aisance de ses répliques et une belle présence scénique. La chanson de Varlaam/ ne manque pas de verve et relance une scène d'auberge un peu statique.  (L'innocent) réserve un moment de pure émotion. Dans un équilibre parfait avec l'orchestre et une musicalité remarquable, le ténor faisait chanter la langue russe avec une aisance et une clarté magnifiques, dans un moment dramatique extrêmement fort de l'opéra.

Magnifiquement investi dans la conduite d'une oeuvre qu'il a déjà beaucoup dirigée, Tugan Sokhiev maintenait tout du long une tension dramatique et une intensité nourrie par les couleurs d'un orchestre toujours réactif. Le choeur très sollicité dans la première partie où il est l'acteur principal semblait un peu éloigné de l'orchestre dans le dispositif que propose la Salle Pleyel. Si les voix manquaient de plénitude et de profondeur dans les premières pages de la partition, l'Orfeón Donostiarra ne déméritait pas ce soir au côté d'un orchestre du Capitole en très grande forme .

Crédit photographique : © Igor Sakharov

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