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Un Werther déjà classique à Bastille avec Beczała et Garanča

Pour sa troisième reprise à Bastille, ce Werther mis en scène par s'offre le luxe de réunir le couple . De belles qualités de part et d'autre mais pas forcément convaincantes dans ce répertoire à la fois populaire et exigeant.

L'esthétique à la fois épurée et classique des décors de Charles Edwards contraste élégamment avec la tendance habituelle à voir le chef d'œuvre de Massenet sous un angle nostalgique et sucré. L'œil voyage entre les lignes de fuite inversées d'un pan de mur et d'une balustrade, dégageant l'immense espace vide d'un ciel d'hiver balayé par le vent. L'inutile fontaine glougloutant bruyamment dans l'Acte I rejoint au rayon des mauvaises idées, les costumes figés dans un romantisme d'aquarelle. L'Acte III est de loin le plus réussi, en partie grâce aux éclairages d'André Diot, magnifiant des intérieurs qu'on dirait tirés du pinceau de Vilhelm Hammershøi.

Rien ne manque à la misérable chambre en soupente, jusqu'aux sinistres flocons qui tombent sur le cadre noir de cet étroit décor aux allures d'avis de décès. La construction de ces espaces gigognes accompagne la progression dramatique jusqu'à son dénouement, donnant un supplément de couleur Sturm und Drang au mince et maladroit livret de Blau-Milliet-Hartmann. Changeant en vers de mirliton la prose de Goethe, c'est l'esprit de la rengaine mélodique qui souffle sur ces « souffrances du jeune Werther » – très loin, donc, des aspérités psychologiques et des élans tourmentés.

Six ans après, le plateau est encore dominé par le souvenir imposant de Jonas Kaufmann, malgré l'excellente prestation de Roberto Alagna en 2014. Très à l'aise dans l'expression du bonheur de Werther, (lire notre entretien) peine à rendre crédible la descente aux enfers du personnage. La belle projection et le timbre solaire du « Je ne sais si je veille ou si je dors encore », n'a que peu à voir avec les voyelles écrasées et les aigus contondants du « Pourquoi me réveiller, ô souffle du printemps… ». n'est pas une Charlotte de porcelaine, loin s'en faut. Il faut entendre la rudesse de son « Va, laisse couler mes larmes » pour saisir les élans quasi véristes dont elle pare son personnage. La solidité technique peine sur la durée à se convertir en émotion, cédant en plusieurs endroits à une froideur assez cérébrale là où un brin d'abandon serait le bienvenu.

La Sophie de nous avait habitués à un français plus châtié et moins flou ; déception également pour , qui fut il y a peu son Pelléas sur cette même scène. La projection en demi teinte ne parvient pas à imposer le personnage d'Albert. Bons seconds rôles, le Bailli de ou le couple Johann et Schmidt ( et ), tirent brillamment leur épingle du jeu.

Remplaçant Michel Plasson au pied levé, le jeune (qui dirigera prochainement la reprise du Barbier de Séville) donne une vision assez véhémente du drame de Massenet. On navigue souvent à vue, volontiers du côté de Butterfly ou de Tosca et avec peu d'attention pour la finesse des modulations expressives. L'Orchestre de l'Opéra de Paris se plie de bon cœur à cette direction énergique, alternant velours et rythmes charpentés en faisant mine d'oublier les minutieuses dentelles qu'y dessinait Plasson il y a deux saisons.

Crédits photographiques : © Emilie Brouchon / Opéra National de Paris

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