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Serge Baudo revient diriger Pelléas à l’Opéra de Toulon

Rien de très inspirant dans la très illustrative mise en scène de , même si le plateau offre de belles surprises, c'est vers la fosse que nos oreilles se tournent. Mémoire musicale d'une époque où Karajan l'invitait à diriger Pelléas et Mélisande à la Scala, offre un somptueux écrin sonore au chef d'œuvre de Debussy.

Plongés pour l'essentiel dans une lumière noire, un enchaînement de décors abstraits alternent des lignes géométriques avec comme point fixe, une persienne à cour. Voilà le cadre du très sobre Pelléas et Mélisande, mis en scène par – dans une reprise de la production de l'Opéra de Nice en 2013. On pourrait facilement déceler dans cette esthétique très visuellement correcte des allusions au cinéma de Claude Sautet ou Eric Rohmer. Les éclairages de Patrick Méeüs réservent la meilleure part, osant quelques subtilités dans l'utilisation d'une lumière rasante qui laisse affleurer les aspérités des murs et découpe en ombres chinoises les profils des personnages. On se montrera plus perplexe concernant les projections d'« ambiance » vidéo, composant un fond mouvant et visuellement très illustratif et un peu perturbant.

Peu de forêt et très peu d'Allemonde ; en revanche, de bien prosaïques bicyclettes sur lesquelles Pelléas et Mélisande vont en promenade. Entre veste jaune canari et tenues années 80, c'est l'univers du roman photo qui se sert de substrat visuel en lieu et place du symbolisme de Maeterlinck. On s'interrogera longtemps sur l'improbable transformation de Geneviève en Yvette Horner ou les gamineries forcées d'un petit Yniold occupé à jouer avec sa voiture téléguidée. Tant pis également si les trois pauvres gisant dans la grotte sont emballés dans des sacs poubelles ou bien si les servantes sont contraintes à des pantomimes assez énigmatiques dans la dernière scène. D'une manière générale, les protagonistes sont abandonnés en scène sans véritable direction d'acteur, ce qui n'est pas sans poser certaines chutes de tension. Le théâtre semble flotter et disparaître au point qu'on a du mal à saisir comme dramatiques des scènes comme celle du meurtre, qui semble vidée de toute vigueur et de toute urgence.

Côté plateau, on retient surtout la belle prestation de en Pelléas. La voix est à la fois claire et sonore, impeccable de tenue même dans les passages les plus exposés. Seuls quelques infimes détimbrages dans le IV rappellent l'écriture exigeante et la difficulté de la projection. La fontaine des aveugles possède la vertu d'assouplir le timbre pincé et métallique de la Mélisande de , le miracle se limite à une voix assez droite et scrupuleusement à fleur de notes.

fait croire à son Golaud, notamment par une voix ample et de bien belle tenue. Sensiblement limitée dans le registre aigu, la voix se tasse progressivement et la ligne se désunit sur la fin. Oublions la Geneviève de , perdue dans sa lettre comme dans les brumes de ses voyelles, et notons la belle couleur du Médecin et du Berger de . L'Arkel de possède encore de belles qualités mais la ligne charbonneuse par endroit laisse affleurer une tension peu propice à l'émotion. Enfin, le petit Yniold de fait vocalement oublier l'impossible perruque rouge dont elle est affublée. Découverte en « enfant terrible » dans l'opéra éponyme de Philip Glass, puis à Nantes en 2014 dans le Pelléas d'Emmanuelle Bastet, la piquante soprano reprendra le rôle d'Yniold dans la très attendue production de Katie Mitchell au prochain festival d'Aix.

La présence de dans la fosse justifie à elle seule le déplacement. L'ancien directeur musical de l'orchestre de Lyon, désormais chef invité aux quatre coins de la planète, propose un Debussy sans affèterie, à la ligne admirable et soyeuse. La discrétion de la conduite harmonique dans les transitions fait entendre une véritable respiration musicale, idéale et subtile. L'orchestre de l'Opéra de Toulon ne boude pas son plaisir et sait se placer au niveau de cette fine et noble baguette.

Crédits photographiques : © Frédéric Stéphan

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