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À Verbier, l’immense Falstaff de Bryn Terfel

Grâce à une splendide direction d'orchestre, des solistes concernés et une mise en espace intelligente, le Festival de Verbier signe avec ce Falstaff de , l'une des plus audacieuses et réussies productions d'opéra jamais montées sur leur scène.

Quand on sait l'investissement artistique nécessaire à une production d'opéra, avec ses solistes, son orchestre, son chef d'orchestre, ses décors, ses costumes et sa mise en scène, on mesure combien il est rare que tous ces éléments concordent pour qu'un spectacle soit parfait. C'est pourtant ce qu'a réussi à montrer le Festival de Verbier avec cette représentation de Falstaff de .

Le baryton converti en metteur en scène (et chef d'orchestre) depuis sa retraite vocale, déplace les personnages de cette comédie d'un bord à l'autre de la scène des Combins avec une intelligente économie de moyens et de décors. Une chaise basse, deux tonnaux, un paravent, une corbeille à linge, un bouquet de tournesols fanés, voilà pour le décor et les accessoires. Des habits de récital pour les dames, des vêtements de ville pour les messieurs agrémentés de quelques draps, ou voiles, c'est tout pour les costumes.

Certes pour sa mise en espace, profite du formidable talent d'acteur de (Falstaff) qui, s'il domine le plateau avec verve, évite élégamment d'écraser ses partenaires avec son exubérance naturelle. Le baryton gallois porte le spectacle sur ses seules épaules ne ménageant pas les effets comiques pour camper le côté pathétique du personnage. Son Falstaff est un joyeux compère, buveur et bon vivant, se moquant de la société. Théâtralement, intègre le personnage jusqu'au moindre détail du langage coloré et imagé d'Arrigo Boïto, le génial librettiste de cet opéra. Vocalement, il joue de son instrument avec une désinvolture époustouflante. N'hésitant pas à parler plutôt que de chanter certains mots, il donne ainsi un poids dramatique majeur à son personnage. Avec une santé vocale désarmante quand bien même le registre grave accuse un vibrato plus ample et moins contrôlé que le reste du spectre musical, se montre d'une générosité artistique admirable dans un spectacle qu'il enchante par son charisme.

A ses côtés, tous les protagonistes sont emportés par la faconde du baryton gallois. Cependant, la prestation de la mezzo-soprano suise (Mrs. Quickly) s'avère d'une justesse théâtrale et vocale hors du commun. Son personnage d'entremetteuse de la farce dont Falstaff va être victime est un véritable régal de finesse théâtrale et de beauté vocale. Ne forçant jamais ni la voix, ni le trait, avec une diction parfaite, elle ajoute au comique de Falstaff une rouerie féminine rafraîchissante.

Parmi les autres interprètes, on note l'impressionnante pureté vocale de la soprano chinoise (Nannetta). Plantée au fond de la scène, avec le jouant au grand complet devant elle, elle « passe » au dessus de l'ensemble orchestral sans problème. Et toujours avec cette voix claire comme de l'eau de roche, sans effort apparent, qui questionne sur le mystère de cette puissance vocale dans un corps aussi frêle !

A lui donner la réplique, le ténor (Fenton) déjà remarqué dans Der Rosenkavalier à Genève en mars 2012 et dans son Germont de La Traviata à Baden-Baden en mai 2015, confirme l'excellence de sa vocalité. Phrasant le périlleux air de Fenton avec un legato admirable et une puissance vocale tout à fait remarquable, le ténor brésilien charme avec un magnifique timbre de voix qui n'est pas sans rappeler celui d'un José Carreras (jeune !).

Si les aigus de la soprano (Alice Ford) restent notoires, l'agilité du rôle semble ne pas convenir à sa voix quelque peu trop lourde. En outre, manquant de volume dans le registre grave, on peine parfois à la compréhension du propos. A noter encore la bonne tenue du baryton (Ford) qui après un début timide s'est avéré d'une assise vocale imposante.

Tous les protagonistes se révèlent remarquablement bien préparés. S'ils sont parfaitement en place, ils le doivent à la direction d'orchestre d'un formidable . Tournant le dos aux chanteurs, ne leur dédiant que rarement un regard, sa direction d'orchestre reste diaboliquement souple mettant chaque chanteur à l'aise dans son rôle. On pourrait croire à une rigueur musicale extrême, militaire, mais derrière cette apparente inflexibilité pour les solistes, le chef espagnol reste à l'écoute et tire du (décidément magnifique) ce qu'il faut d'entrain, de lyrisme et de beauté colorée pour émouvoir. Comme dans les premières mesures du troisième acte où le soudain staccato imprimé à l'orchestre est déchirant de puissance et d'émotion.

A louer l'énorme travail de mise au point apporté à ce spectacle pour le rendre aussi enthousiasmant avec le seul regret que toute cette énergie a été dépensée pour une seule représentation ! Qui n'y était pas a perdu une occasion rare d'apprécier à sa juste valeur Falstaff de , l'opéra des opéras.

Crédit photographique : © Nicolas Brodard

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