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À Genève, Il Giasone en comédie burlesque

Entre baroque et comédie légère, la production du Grand Théâtre de Genève Il Giasone de s'appuie sur la poésie des décors et la finesse d'une musique sophistiquée pour raconter une mythologie détournée.

Il Giasone, l'opéra de , reprend le mythe des amours de Médée et Jason sur fond de Toison d'Or, ici relayés par Egeo, amoureux éconduit de Médée, et Isifile, l'épouse de Jason. Porte ouverte à toutes les interprétations où s'engouffre la metteure en scène . Ouvrant la scène (sur de beaux et poétiques décors d'), le Soleil, vêtu en Louis XIV, chante le lever du jour où les noces de Médée et Jason vont être célébrées. Un chant interrompu par Eros, le joufflu dieu de l'Amour, nu avec des ailes dans le dos qui prétend que sans lui pas de noces possibles. Les mots, la musique, les lumières, tout concourt à l'expression d'un spectacle dans le plus pur (?) esprit des opéras de l'époque monteverdienne. Jusqu'à l'irruption tonitruante et déroutante de Egeo, espèce de riche touriste des îles eggéennes en costume de ville gris clair. C'est le départ d'une comédie déjantée que la metteure en scène italienne imagine depuis le livret et la musique « reconstitués » par Leonardo Garcia Alarcón.

Ainsi le livret, qu'on voyait déjà gonflé d'intrigues annexes et de personnages susceptibles de semer la confusion dans l'esprit du spectateur, tronqué des probables cinq à six heures de spectacle que la version originale devait comporter, au lieu de s'avancer vers plusieurs heures de lentes gestuelles, de bras écartés, de doigts levés vers le ciel, de visages fermés et d'interminables déclamations, devient soudain plus clair et plaisant à suivre.

Dans cette idée de comédie déjantée, l'intention scénique se voudrait alimentée des canons du théâtre burlesque. Toutefois, la plupart des protagonistes manquent de cette verve comique bien particulière pour faire passer le message de . Seul, formidable comédien, (Delfa/Eolo) respire la parodie au point d'en faire oublier qu'il chante. Et même bien. En nounou nymphomane, remontant ses seins d'un geste brusque, chevauchant un homme de main, ses facéties sont hilarantes alors que la plupart des autres chanteurs ne génèrent qu'un sourire. Pourtant les idées scéniques excessives ne manquent pas. Ainsi ce ballet des servantes d'Isifile, clin d'œil fugitif à Mary Poppins, ou la poussette des jumeaux suivant sans cesse Médée et Jason.

Vocalement, la distribution reste de très bon niveau à l'exception peut-être du contre-ténor (Giasone) qui, malgré une ligne de chant superbe, une technique irréprochable et une diction de rêve, manque sensiblement de puissance pour s'élever au niveau de ces compagnons de scène. Ainsi, à chacune de ses interventions (et elles sont nombreuses), il fait retomber le soufflé. Et c'est bien dommage parce qu'à ses côtés, (Demo/Volano) se dépense sans compter pour dynamiser le plateau. Puissant, drôle, il tient la dragée haute à tout ce qui l'entoure. Autre personnage mordant et dynamique, le ténor Raul Giménez (Egeo) s'éclate dans une vocalité brillante quoique parfois à la limite d'un chant nasal.

La présence de la basse (Oreste/Giove) réconforte. Si la voix a perdu la grande autorité qu'on lui avait connue quand il offrait un terrifiant Captain John Claggart dans la production de Billy Budd de Benjamin Britten au Grand Théâtre de Genève en 1993, il reste touchant de présence scénique et émouvant de vocalité.


Du côté féminin, le niveau est remarquablement bien équilibré. Des trois sopranos se distribuant les rôles, difficile d'en trouver une surpassant ses collègues. Peut-être décernera-t-on des lauriers préférentiels à l'exquise fraîcheur vocale de la pimpante Mariana Florès (Alinda), mais l'autorité de (Isifile/Sole ) –quelle admirable ode au soleil d'ouverture ! – reste éclatante alors que la clarté lumineuse de (Amore) fait merveille. Quant à la mezzo-soprano (Medea) sa voix riche, chaude et mordorée tient bien sa position sans toutefois soulever l'enthousiasme, peut-être par manque d'audace que sa technique vocale pourtant permettrait.

Moins spectaculaire que dans le récent Alcina de Händel, l'ensemble reste cependant d'une finesse et d'une beauté interprétative excellentes. A sa tête, Leonardo Garcia Alarcón déploie moult attentions à sa direction d'orchestre et au plateau. Des attentions peut-être trop intenses pour qu'il puisse véritablement interpréter cette musique avec toutes les couleurs et la dynamique qu'on lui espère. Peut-être que les angoisses de la première y sont pour quelque chose.

Crédit photographique : © Magali Dougados

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