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Bruschino au TCE ou le fabuleux métier du grand Corbelli

Créé en janvier 1813, Il Signor Bruschino est le dernier des cinq opéras comiques en un acte que Rossini composa pour Venise. Si l'œuvre déconcerta en son temps, notamment à cause des coups d'archets donnés par les musiciens sur leurs pupitres lors de la célèbre ouverture, le public du Théâtre des Champs-Élysées s'est quant à lui régalé de cette farce où quiproquos et chassés-croisés alimentent une musique pétillante et légère servie par un plateau homogène et particulièrement investi, dominé toutefois par l'art de l'immense et inénarrable .

Malgré sa brièveté, Il signor Bruschino n'est pas si rare que cela sur les scènes, notamment en raison d'un livret de bonne facture, efficace et drolatique, mais aussi grâce à  une musique pleine d'effets et de crescendo rossiniens dont le public raffole. Comme pour les autres opéras du même format, l'effectif orchestral est ici réduit, ce qui accentue la légèreté de cette musique qu', à la tête de l'excellent Orchestre national d'Île-de-France, sculpte à coups de variations de rythmes et de volume pour mieux en souligner la vivacité et la diversité. Tout est parfaitement au point, que ce soit les airs virtuoses et comiques ou les passages plus élégiaques avec notamment le superbe solo de hautbois qui ouvre l'air de Sofia. En outre, dans l'objectif d'apporter une direction d'acteurs à un opéra en version de concert, le chef participe même au jeu de scène avec les chanteurs, devenant le confident de leurs déboires, voire le complice de leurs projets d'entourloupe. Effets d'autant plus savoureux que ce soir, tous les chanteurs sont également de prodigieux acteurs et leur investissement scénique est pour beaucoup dans le joli succès de cette soirée ovationnée.

À son entrée en scène, on est dans un premier temps frappé par l'élégance naturelle de . Une élégance qui se retrouve également dans un chant qui s'assouplit au fil de la soirée, un phrasé délicat et une voix claire, solide et bien projetée dans tous les registres. Pour son premier duo avec le ténor, Chantal Santon-Jeffery semble prudente et retenue et la voix n'apparaît pas vraiment à son avantage. Pourtant, très rapidement elle semble retrouver ses marques avec un magnifique « Ah donate il caro sposo » chanté d'une voix riche et pulpeuse où ses aigus assurés impressionnent. Ses talents de comédienne trouvent en outre à s'épanouir dans ses belles interactions avec ses partenaires. Du tempérament, la Marianna de n'en manque pas non plus et sa voix résonne de manière tout aussi insolente que son personnage de soubrette fantasque. Le très beau timbre de fait des merveilles et les intonations comiques de son Gaudenzio suffisant et crédule, sont particulièrement bien travaillées. Le malicieux Filberto de , l'autoritaire commissaire de Tomasz Kumiega et l'amusant Bruschino fils de Joao Pedro Cabral complètent avantageusement une distribution qui brûle définitivement les planches.

Enfin et surtout, comment ne pas rendre ici hommage à , acteur majeur des grandes heures du chant rossinien de ces dernières décennies ? Il continue encore de nous régaler de ses facéties scéniques et vocales car si le temps passe et que la voix n'est plus tout aussi agile, elle reste d'une grande beauté, bien projetée et suffisamment homogène pour assumer les délires rossiniens. Et quel style ! Quel engagement ! Quel naturel ! Il est Bruschino, des coups de cannes frappés pendant l'ouverture aux « che caldo » hilarants ponctuellement lancés dans la chaleur de la salle, en passant par les évanouissements en bordure de scène et les accents et couleurs déployés dans un phrasé souverain. Drôle, émouvant aussi parfois, Corbelli fait partie de ces chanteurs généreux et subtils qui peuvent arracher une larme dans un grand rire. Le mélange de ces deux générations de chanteurs peut nous laisser espérer que cet art ne se perdra pas.

Crédit photographique : © Alvaro Yanez

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