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Pelléas et Mélisande à Strasbourg sauvé par les chanteurs

En reprenant la mise en scène contestée et, de fait, contestable de , l'Opéra national du Rhin prenait un risque. Le succès public est néanmoins au rendez-vous, plus en raison des qualités et de l'adéquation d'une distribution impeccable que grâce à la direction trop extérieure de .

Créée il y a un an au Komische Oper de Berlin, la mise en scène de a déjà fait l'objet d'une critique dans nos pages qui en relevait les faiblesses et les contresens. D'emblée, il existe dans ce concept un hiatus irréconciliable entre une scénographie à tendance onirique ou symbolique (décor restreint de perspectives emboîtées et entrées/sorties des personnages sur des plateaux rotatifs concentriques tels des automates d'horloge mécanique) et une direction d'acteurs très physique et jusqu'au-boutiste, au réalisme cinématographique accentué encore par les éclairages expressionnistes (contre-jours, ombres découpées) de Klaus Grünberg. Le travail de Julia Huebner sur les gestes et les corps est impressionnant et, soutenu comme ici par des chanteurs investis et audacieux face à la prise de risques qu'il impose, se montre redoutablement efficace. Sauf qu'il entre en contradiction avec l'ouvrage… Tout est déjà dit, mais de manière suggérée, dans le texte de Maeterlinck et dans la partition de Debussy : la brutalité des rapports humains, les failles de l'âme, la déshumanisation et l'absence d'amour et de compassion. Il est donc inutile d'en rajouter, de traduire les appétits libidineux d'Arkel par une tentative de viol sur Mélisande, de faire aboutir l'attirance platonique entre Pelléas et Mélisande à une relation sexuelle explicite ou d'exacerber la violence de Golaud. Et si Mélisande s'éteint à la fin de l'ouvrage, ce n'est pas d'une hémorragie post-partum ainsi que le montre à grand renfort d'hémoglobine. Comme une fleur non arrosée, elle dépérit en manque d'amour, inadaptée et malheureuse (elle le dit à plusieurs reprises) dans cet univers violent et sans espoir.

Mais la distribution réunie par l'Opéra national du Rhin s'avère bien plus adéquate que celle du Komische Oper. Excepté avec une légère pointe d'accent, tous sont parfaitement francophones, prononcent avec clarté les mots choisis de Maeterlinck et surtout en saisissent le sens et la portée. est une Mélisande émouvante à l'aigu lumineux, lisse et impénétrable, manquant cependant un peu de mystère pour justifier l'attraction qu'elle exerce sur tous. Un peu engoncé dans le personnage craintif et irrésolu que lui impose le metteur en scène, demeure un Pelléas de premier ordre, à l'expression vocale intense et franche, même si quelques aigus en force confirment qu'il n'est pas tout à fait le baryton Martin à l'aigu clair qu'appelle le rôle. incarne un passionnant et exceptionnel Golaud, sidérant de violence et de puissance vocale mais tout aussi touchant dans la détresse. compose avec réussite une Geneviève maternelle et consolatrice à la voix enveloppante tandis que s'impose  avec force en Arkel tutélaire et despotique, quoique fragilisé et dépassé, bien loin des Arkels séniles vu ailleurs. Issu du Tölzner Knabenchor, le jeune Cajetan Deßloch emporte tous les suffrages en Yniold par la pureté de son chant, la qualité de sa prononciation et la véracité de son jeu.

A-t-il voulu se mettre au diapason de la mise en scène ou est-ce sa grande fréquentation du répertoire contemporain ? En tout cas, le chef ne rend pas pleinement justice aux délicatesses et aux moirures de l'orchestration de Debussy, avec sa direction tranchée et peu subtile, soignant plus le dramatisme que les atmosphères. Du côté de l', on admire des cordes de toute beauté, des assises graves somptueuses mais on déplore des bois trop agressifs et des vents trop envahissants. Un problème d'équilibre sonore qui n'a pas été résolu.

Crédit photographique : (Pellés), (Mélisande) / (Golaud), (Mélisande) © Klara Beck

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