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Daniele Gatti ouvre la saison de l’Opéra de Rome avec Rigoletto

Alors que le spectacle verdien d'ouverture de saison de La Scala ne convainc pas, celui de l'Opéra de Rome attire par la vision dense et sombre apportée à un Rigoletto trop souvent joué comme une simple pièce populaire.

Nous avions fait écho de la rumeur qui avait couté sa place au Concertgebouw d'Amsterdam à Daniele Gatti. Depuis, rien n'est apparu et aucune plainte ni fait nouveau n'est venu confirmer l'information. C'est donc avec intérêt que nous avons appris la nomination du chef milanais à Rome, juste après la première triomphale du Rigoletto proposé pour l'ouverture de la nouvelle saison de l'opéra. Artiste clivant par l'exigence de culture et d'écoute demandées par son jeu dense et des partis pris interprétatifs toujours très définis, avait déjà noirci le tableau d'Il Trovatore à Salzbourg quelques années plus tôt, puis de La Traviata à Milan, au grand intérêt de ceux recherchant chez Verdi le génie à fleur de peau. Et cela au risque de désarmer par la lenteur et la construction du son une autre partie d'auditeurs. Après Tristan und Isolde et La Damnation de Faust, Gatti revient pour sa troisième ouverture de saison à Rome au troisième opéra dit de la « trilogie populaire » verdienne, sans l'avoir abordée depuis Bologne, lorsqu'il était directeur musical du Teatro Comunale.

Dès les mesures introductives, la concentration des cordes expose la pâte sonore sans concession créée par le chef, tout en présentant une perspective noire, tout à fait cohérente avec le livret de Piave, tiré de l'une des pièces les plus personnelles de Victor Hugo. Le dernier acte a déjà été entendu avec une telle compacité, mais l'atmosphère tendue apparaît ici dès l'entrée du Duc, souvent traitée comme un moment de bravoure. L'utilisation des cordes graves fascine peut-être encore plus que celles des groupes de violons et altos, tout particulièrement en soutient à Rigoletto. L'équilibre toujours admirable permet de mettre en avant le hautbois solo, le cimbasso autant que les percussions selon les besoins, sans jamais trop appuyer les effets, même lors de la tempête.

Du plateau se remarque dès le bal la diction parfaite et très nette du chœur, ardemment préparé par Roberto Gabbiani et ajusté par . Dans le rôle-titre, l'artiste , entendu à Paris avec le chef italien pour Macbeth au Théâtre des Champs-Élysées, démontre que cette partition plus tardive convient mieux à sa tessiture. Il marque sans doute moins par son charisme que Simon Keenlyside encore apprécié récemment, mais il a pour lui la prosodie italienne et offre une scène finale particulièrement touchante, et un Cortigiani puissant de terreur, superbement accompagné par les coups d'archets en fosse. Ses duos avec sa fille développent de grands moments, là encore en partie grâce au travail du chef, avec des hoquets de déploration lors du Canto Dolore de Gilda rarement entendus aussi définis et aussi puissants.

reprend cette partition qu'elle connaît parfaitement, encore plus agile ici qu'à Bastille lors des deux dernières représentations de la reprise de la production de Claus Guth. Sa voix de belcantiste permet régulièrement un chant sur un filin. Le legato parfait est associé à un contrôle du souffle toujours aussi impressionnant, avec un magnifique contre mi bémol à la fin du « Si, vendetta » et un sublime filet de voix pour la mort. permet à Monterone de soumettre une malédiction marquante. On retient également le timbre de Nicole Brandolino pour la Comtesse, la qualité de la ligne et de la langue pour le Matteo Borsa de et le Marullo d'Alessio Verna, ainsi que la prestation toujours aussi charismatique d' pour Maddalena. campe un Duc vaillant dont la « Donna e mobile » offre un regain de voix à un public qui s'était pourtant tu et concentré dès les premières minutes, jusqu'au triomphe final pour les deux premiers chanteurs cités ainsi que pour le chef.

De la production de , l'atmosphère sombre, développée par l'utilisation massive de fumée sur scène, s'accorde au traitement d'un décor de façades ouvertes, souvent rapprochées du centre de la scène afin de concentrer l'action. Le placement d'une partie des chanteurs fréquemment en hauteur ne perturbe pas le chant, pas plus qu'une fraction de l'orchestre placée sur plusieurs hauteurs à droite de la scène ne vient altérer l'énergie de la fête, où tous les tempi rapides de Verdi sont évidemment maintenus par le chef, avec un appui marqué des notes à la mesure. Alors qu'il manquait un directeur musical à la capitale italienne depuis le départ de Riccardo Muti, cette ouverture de saison promet de grands soirs à venir et offre une véritable possibilité à l'institution de retrouver sa place parmi les plus grandes scènes internationales.

Crédits photographiques : © Yasuko Kageyama / Opera di Roma

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