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Verdi en majesté au Festival de Pâques de Baden-Baden

Lors du week-end d'ouverture de son Festival de Pâques, le Festspielhaus de Baden-Baden mettait Verdi à l'honneur. Un Requiem sous la baguette experte de y rachetait l'Otello à l'esthétisme léché mais bien peu passionné imaginé par .

D'œuvre en œuvre, recycle les mêmes éléments de langage inspirés du kabuki japonais. C'est à nouveau le cas pour cet Otello tout en bleu, blanc et noir, avec quelques touches de rouge pour les scènes de violence. Néons et structures géométriques tombant des cintres ou glissant latéralement, costumes de samouraï et maquillages blafards, poses hiératiques, gestes stylisés et déplacements lents et millimétrés, tout ce qui a fait la renommée du système Wilson est ici convoqué. Et sublimant le tout, l'extraordinaire travail sur les lumières et les contre-jours contribue à composer des tableaux suffocants de beauté. Seule entorse à la règle, alors que les haut-parleurs du Festspielhaus diffusent des bruits de tempête, le spectacle s'ouvre sur le film d'un éléphant agonisant qu'on retrouve allongé au centre du plateau au lever de rideau et qui ne réapparaîtra plus. Est-ce ainsi que imagine Otello, en pachyderme blessé à mort ?

Si ce « style Wilson » a convaincu pour des œuvres à forte charge symbolique (Pelléas et Mélisande ou La Flûte Enchantée pour ne prendre que deux exemples), il s'avère beaucoup moins adapté à des opéras aussi passionnels que ceux du Verdi de la maturité. Difficile en effet de croire, encore moins de compatir, à la fougue amoureuse d'un Otello qui sollicite fébrilement « ancora un bacio » mais se limite à effleurer la main de son amante ou à la mort par étranglement d'une Desdemona qui se traduit scéniquement par son immobilisation torse penché en avant. On frise même le ridicule avec le pauvre Cassio chargé de simuler l'ébriété en dodelinant mécaniquement de la tête tel un pantin. Aucun sentiment, aucune ardeur n'émergent de cette mise en scène, ce qui vaut à Robert Wilson et son équipe les huées d'une partie du public au rideau final.

En s'attaquant désormais au rôle d'Otello (Bergen en 2017, plus récemment New York fin 2018), confirme que le Heldentenor wagnérien (qu'il a beaucoup pratiqué) et le fort lirico spinto verdien n'appellent pas les mêmes qualités. Tout le monde n'est pas Jon Vickers… L'aigu très solide, quoique précautionneux et toujours en force et claironnant, assure la part héroïque. Mais malgré de notables efforts d'allègement, la part plus intérieure ou sentimentale du rôle lui échappe encore. Il y manque du legato, du lyrisme, une plus grande variété de colorations. demeure une Desdemona de rêve, qu'elle domine sans effort de sa puissance l'immense final du troisième acte ou qu'elle murmure un Ave Maria tout en intériorité et recueillement. Le timbre si prenant de cette voix, certaines intonations presque fragiles, le vibrato même de ses forte, lui confèrent une intense humanité qui bouleverse.

Grimé en Méphistophélès, (remplaçant Luca Salsi) incarne un Iago plutôt traditionnel et superbement chantant, avec toute la noirceur et le mordant adéquats. S'il semble dans son jeu moins respectueux des volontés de Robert Wilson, cela lui permet de donner plus de présence et de poids à son personnage. En Cassio, assure impeccablement « l'italianità » qui fait défaut à Otello. Le reste de la distribution n'appelle aucun commentaire négatif, sauf peut-être un Lodovico un peu trop nasal.

Toujours impressionnant de puissance et d'homogénéité, l' assure comme il se doit une tempête initiale absolument cataclysmique tout comme un tapis sonore pianissimo somptueux pour la grande scène de Desdemona au début du quatrième acte. Mais il n'est toujours pas un orchestre de fosse, joue sa partie et reste peu réactif à la scène, qu'il couvre régulièrement d'un déluge de décibels, y compris le pourtant vaillant Philharmonia Chor de Vienne. Dans des tempos plutôt lents, (qui remplace Daniele Gatti « empêché ») s'emploie à contenir l'ardeur de l'orchestre et assure néanmoins la cohésion avec le plateau.

Le lendemain, c'est sur scène que se présente l'Orchestre philharmonique de Berlin pour un Requiem de Verdi qui touche à la perfection. Grand habitué de l'œuvre et de Verdi, en prend les rênes avec fermeté pour une interprétation puissamment dramatique aux intenses contrastes tant de dynamique que de tempo. Suivant avec précision les intentions du chef, l'orchestre se montre à son plus haut niveau et les moments de grâce se succèdent. Les violoncelles de l'Introït initial semblent émerger du néant tandis que les contrebasses et les vents se déchaînent pour un Dies Irae et surtout un Tuba Mirum d'apocalypse. Toute la soirée alterne ainsi, en accord avec le texte, déferlements sonores et pianissimos impalpables où le temps semble s'arrêter. Tout aussi soigneusement contrôlé par , le réalise lui aussi une formidable performance, puissant sans détimbrer, souple et riche de couleurs comme de nuances ou murmurant sans se désunir, offrant par exemple un Lacrymosa déchirant.

Le luxueux quatuor vocal se montre parfaitement à la hauteur de l'événement. Adoubée par Riccardo Muti qui lui confia Elvira dans Ernani puis Aida à Salzbourg, la soprano offre de sublimes aigus filés et des graves sonores et nourris tout comme une extrême capacité de puissance. Son timbre plutôt corsé contraste idéalement avec celui plus rond et velouté de la mezzo-sorprano (le Recordare). Le ténor déploie des trésors de subtilité, de ruptures de ton, de variations de couleurs, de passages de la voix mixte à la voix de poitrine (un Hostias presque surnaturel). Moins servi par la partition, la basse y fait valoir néanmoins le bronze de son timbre, le tonnant de ses forte et d'impeccables nuances.

Crédits photographiques : (Desdemona), (Iago), (Cassio) © Lucie Jansch / Requiem de Verdi © Monika Rittershaus

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