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Une Passion selon saint Matthieu haute en couleurs par Jordi Savall

Si sa reconstitution récente de la Passion selon saint Marc de n'a pas entièrement convaincu, est au sommet dans cette « Saint-Matthieu » proposée au public parisien.

Il y a mille manières d'envisager le dispositif pour jouer cette œuvre, certainement la plus exigeante du catalogue BWV en termes d'effectif. Compte tenu de la modularité limitée de la Grande salle de la Philharmonie de Paris quand on veut pouvoir accueillir 2 400 spectateurs, et vu le choix de ne pas utiliser l'orgue de concert, c'est à une configuration peu audacieuse que s'est finalement tenu le chef : deux chœurs d'une dizaine de chanteurs en arc de cercle, l'un dans le prolongement de l'autre, deux orchestres pareillement symétriques au milieu, le chœur d'enfants en ligne derrière, et les deux principaux protagonistes, Jésus et l'Évangéliste devant le chef, entre les deux orchestres.

Contrairement à Vox Luminis la semaine précédente dans la Passion selon saint Jean, cette production rassemble un luxueux plateau de solistes qui ne sont pas issus du chœur et restent frais pour leurs interventions : en particulier le contre-ténor , très opératique, est parfaitement expressif dans ses différents couples d'ariosos et d'arias, et son duo avec (« So ist mein Jesus nun gefangen »), bien que marqué par quelques décalages avec les instruments, est très beau. parvient en ses quelques courtes interventions à caractériser fortement un Judas fourbe et tourmenté, et déploie de belles couleurs, de sa manière si particulière, dans ses airs en deuxième partie. Le second, « Kom süsses Kreuz », est accompagné par lui-même à la viole, et dans cette même configuration « Geduld, wenn mich falsche Zungen stechen » avec le ténor est également un moment sublime. et en revanche apparaissent un peu en retrait en première partie, presque scolaires par moments. Mais celui-ci se reprend bien en deuxième notamment en incarnant Ponce Pilate, et celle-là avec un « Aus Liebe will mein Heiland sterben » épuré et habité tout à la fois, superbement soutenu par la flûte de . de sa voix chaude et puissante chante un Jésus solennel et plein de force dans ses épreuves. Les interventions venues du chœur pour les personnages secondaires sont variées et toutes excellentes. De même, les chœurs sont saisissants de force et de précision, y compris celui de la Maîtrise du conservatoire de Dole, bien que peu sollicité. Quant aux deux orchestres, ils sont d'une très grande qualité et il faudrait citer toutes les interventions solistes tant elles rivalisent d'excellence. Enfin, pas de grande Passion sans un grand Évangéliste, et dans ce rôle force l'admiration, tant son récit est limpide et porté d'une manière figurée et distante à la fois.

De manière générale, ce qui caractérise cette soirée, jouée dans une acoustique qui se prête merveilleusement aux grands effets et à l'opulence, ce sont la plénitude des ensembles, l'immédiateté des interventions solistes, et la variété en général. Pour cette dernière, les musiciens ne reculent pas devant les contrastes forts, comme dans l'enchaînement entre la fin suspendue de l'air « Aus Liebe will mein Heiland sterben » et le début violemment projeté du récitatif suivant sur les paroles « Sie schrieen aber noch mehr… » (« Cependant, ils crièrent encore une fois… »). Alors, au risque de paraître faire la fine bouche, que manque-t-il pour que la soirée soit vraiment parfaite ? Une spatialisation plus efficace probablement. Et surtout un orgue de tribune, tant les deux orgues coffres utilisés ce soir apparaissent limités pour participer à la variété des couleurs et appuyer les grands effets, comme le déchirement du rideau du Temple après la mort du Christ. En dehors de ces deux regrets mineurs, assister à une telle représentation est une expérience à connaître.

Crédit photographique : © David Ignaszewski

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