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Kazuki Yamada dirige Jarrell et Berlioz à la Philharmonie de Paris

Avec le deuxième « week-end Berlioz » à la Philharmonie de Paris, les festivités autour de du Romantique français se poursuivent, mettant à l'affiche le monumental Te Deum. Sous la direction de , l' créé en première partie Reflections, concerto pour piano n° 2 de , avec en soliste .

Après son opéra Bérénice, créé à Garnier l'année dernière et que nous avions beaucoup aimé, le nouveau concerto pour piano Reflections du compositeur suisse déçoit un rien nos attentes. Plus académique, dans sa forme (vif, lent, vif) comme dans son écriture, qu'Abschied (2001), le premier concerto pour piano du compositeur, Reflections est écrit pour et l'abattage virtuose de l'interprète. Jarrell instaure une relation organique entre le piano et l'orchestre qui en répercute les propositions et en diversifie les couleurs. Entre temporalité resserrée et dilatée, le premier mouvement joue sur la résonance du son et ses déploiements harmoniques toujours très raffinés, autour d'un axe central fa#, entretenu avec une énergie folle par le soliste. Virtuose également est l'écriture foisonnante de l'orchestre, qui tend parfois à submerger le soliste. Les allures de toccata du piano dans le troisième mouvement, ramenant le geste premier du trémolo, sont quasi ravéliennes, laissant apprécier les qualités digitales et la puissance du jeu de Chamayou. Jarrell nous surprend davantage dans un très beau mouvement lent, court autant qu'épuré (Ravel demeure), où les sonorités chatoyantes des cordes viennent effleurer celles du piano conducteur, avant un surgissement sonore de l'orchestre aussi émotionnel qu'inattendu.

, quant à lui, nous surprend à chaque page de son Te Deum et ses déploiements choraux dignes de ceux du Requiem. L'ouvrage est écrit en 1848, comme un pendant au Requiem, mais ne répond à aucune commande. Il ne sera créé à Paris qu'en 1855, à la veille de l'Exposition universelle, à l'Église Saint-Eustache.

Pour l'heure, occupant toute l'arrière-scène de la Grande salle Pierre Boulez face au chef , sont réunis trois chœurs d'enfants (la , celle de Notre-Dame de Paris et le Chœur d'enfants de l'Orchestre de Paris), un chœur mixte (celui de Radio France) et le chœur d'hommes de l'Armée française. C'est aussi l'occasion d'entendre l'orgue magnifique des ateliers Rieger, tenu ce soir par le jeune et brillant organiste . Dans l'orchestre, avec les onze contrebasses fort sollicitées et les vents par trois, sont également convoqués quatre trompettes, six trombones, deux tubas et rien moins que huit harpes (Berlioz en voulait douze !), un caprice de « divo » dans la mesure où les cordes pincées n'interviennent que dans la Marche pour la présentation des drapeaux, une partie instrumentale finale annexée aux six mouvements du Te Deum. Le Prélude, autre ajout que Berlioz avait décidé de supprimer de la partition imprimée – en raison des harmonies « instables » provoquées par le chromatisme – est joué ce soir en troisième position, avec ses quatre tambours militaires inauguraux.

Après l'imposant Te Deum (1) qui fédère l'orchestre et l'ensemble vocal au complet, tout en ménageant de très beaux contrastes berlioziens sous le geste magnétique de , le Tibi omnes (« Devant toi se prosternent les archanges… »), conduit par l'orgue, est une des très belles pages du Te Deum. Berlioz y met en relief la couleur des différents pupitres du chœur, celui des sopranos d'abord puis des ténors, d'une clarté d'élocution exemplaire, qui assument une partie mélodique des plus exigeante. L'orchestre n'est pas en reste : contrepoint expressif des cordes, trame fluide des bois, fusées des cuivres, avant de finir avec l'éclat des quatre paires de cymbales. Tout aussi exigeants et inspirés, le Dignare (3) et le flamboyant Christe, rex gloriae (4) entretiennent un contrepoint toujours ciselé entre voix et instruments, dans un équilibre des masses et une fluidité remarquables.

Berlioz fait appel aux couleurs pures de l'orchestre, telles celles de la flûte très présente et des bassons qui nous enchantent ce soir. L'air dédié au ténor – superbe au lyrisme généreux – dans Te ergo quaesumus est une page d'une grande émotion. Placé au sein de l'orchestre, le soliste est relayé par le pupitre des sopranos que doublent les trompettes et autres timbres clairs. La sublime coda chantée sotto voce par le chœur mixte est du plus bel effet dans l'acoustique idéale de la Philharmonie. Le son redouble d'énergie dans l'injonction finale (« Sauve ton peuple, Seigneur, et bénis ton héritage ») fonctionnant sur un motif répétitif et ramenant les contrastes expressifs. Entre plénitude sonore et efficacité dramaturgique, le dernier mouvement est conduit avec une autorité et un enthousiasme communicatif par l'excellent Kazuki Yamada. Le « Philharmonique » en grande forme et les chœurs épatants ne contribuent pas moins au succès de l'entreprise et au bonheur d'entendre la musique de Berlioz aussi bien servie.

Crédits photographiques : © Marco Borggreve

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