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Centenaire de La Femme sans ombre avec Thielemann à Vienne

Pour marquer le jubilé de ses 150 ans, la Wiener Staatsoper propose une nouvelle production de l'un des opéras les plus marquants, créé à Vienne un siècle plus tôt. Soutenue dans sa version intégrale par et l'Orchester der Wiener Staatsoper, Die Frau ohne Schatten de profite d'une solide distribution.


Le 10 octobre 1919, Franz Schalk crée au Wiener Staatsoper le nouvel opéra de sur un livret de Hugo von Hofmannsthal, Die Frau ohne Schatten. Le conte a pris plusieurs années pour trouver sa forme définitive, et c'est avec triomphe qu'il apparaît sur cette scène, marqué ensuite par les interprétations célèbres encore aujourd'hui de Karl Böhm et Herbert von Karajan.

Cent ans plus tard, le directeur de l'opéra ouvre la soirée par un discours, dans lequel il décrit tout le plaisir qu'il a eu à travailler pour cette maison d'exception, tout en rappelant quelques pans de son histoire, de Mahler à la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. Puis, , entré en fosse sous des applaudissements nourris, lance près de trois heures trente de musique, puisqu'il joue comme toujours – et c'est l'un des seuls – la version intégrale de l'ouvrage. Les trois massifs accords introductifs surprennent, car le chef y cherche un vrai crescendo, effet retrouvé dans une moindre mesure aux trois derniers accords de l'acte II, volontairement baveux et non d'une parfaite netteté, comme nous y a habitué Kirill Petrenko à Munich, suivi depuis par .

Tout l'Acte I intéresse autant par le cisèlement de la fosse, avec d'inédits fugati et glissandi grâce à un travail de détail millimétré, notamment dans certains échanges de thèmes aux bois ou aux cordes, à la manière de ce que le chef fait dans l'Alpensymphonie. L'action est aussi soutenue lors des deux actes suivants, sans extrême dynamique, mais plutôt par un suivi constant et un traitement différentié de chaque situation. Et cela même si le flux symphonique s'y lisse quelque peu pour une vision plus globale. De cette proposition, relativement différente de celle de Salzbourg en 2011, l'Orchester der Wiener Staatsoper ressort sous ses plus beaux atours, des flûtes perçantes pour imager les cris des rapaces à des cordes denses et compactes, en passant par des contrebasses d'une splendide gravité et des cuivres acérés.


La distribution retrouve trois chanteurs du Festival, mais si a toujours le même rôle d'Empereur, à quitté Barak pour devenir la Nourrice. L'idée est bonne, car la soprano dramatique ne peut plus occulter une voix éreintée par des années d'Elektra (notamment dans la production de Patrice Chéreau, reproduite après la mort du metteur en scène par l'équipe scénographique d'aujourd'hui). présente une Impératrice bien plus stable de ligne comme de souffle, dont le chant s'ouvre à mesure que la soirée avance. Pourtant, l'artiste la plus remarquable de la soirée est la troisième protagoniste féminine. Si prend ici le rôle de la Teinturière, elle y démontre déjà la vaillance et la magnificence de ses plus grandes Brünnhilde, avec le timbre qu'on lui connait maintenant, légèrement emporté vers le grave par ses récentes Kundry et Elektra. Elle dépasse tous les autres par la voix autant que par la présence scénique, même son Barak, des grands soirs. expose quant à lui un Empereur tendu à l'acte I, puis de plus en plus souple à mesure que la partition lui permet plus de lyrisme, notamment dans son air de l'acte II et au final.

marque moins en Messager qu'il ne l'avait fait par la noirceur du spectre en 2013, et des seconds rôles ressort surtout le Faucon suramplifié depuis la coulisse de Maria Nazarova, et les trois frères : borgne (), bossu (Thomas Ebenstein) et surtout manchot – excellent . Le chœur parfaitement préparé et les enfants joueurs au dernier acte étalent comme toujours la qualité de l'institution viennoise, surprenante toutefois dans un départ raté des lumières à la première scène. Le rendu des clairs obscurs et le maintien d'une ambiance surnaturelle tient particulièrement grâce au travail sur les lumières de . En revanche, les costumes sont classiques et ne se distinguent que par une belle apparition de spectres, presque serpents au milieu des roches. Le décor principal d'Aurélie Maestre, une paroi rocheuse, ne peut faire oublier celui de L'Ile des Morts de Böcklin, déjà utilisé par Chéreau pour son célèbre Ring de Bayreuth, souvenir renforcé par l'arrivée du bateau avec la Femme, conduit par une funèbre nourrice. Le pavillon de la scène initiale respecte les disdascalies des auteurs, comme toute la proposition de , seulement tenté un instant de rappeler la période de composition par des fusils de la Première Guerre mondiale.

Crédits photographiques © Wiener Staatsoper GmbH / Michael Pöhn

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