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La Bohème à Bâle : l’Amour plus fort que la Précarité

L'opéra de Puccini parle de toutes les époques. Preuve en est faite une fois de plus à Bâle avec l'amère vision de et la direction ultra-moderniste de .


occupe cette saison, le poste de directrice musicale du Theater Basel. Après un superbe Rake's Progress in loco avec Lydia Steier, la cheffe marque de sa pleine empreinte cette Bohème à laquelle elle accorde une luxuriance symphoniste proche de Turandot. Du premier Acte à un Finale qui donne le frisson, faisant preuve d'une impressionnante science du phrasé et des tempi, elle incite le à l'ampleur. Bien accordée à une mise en scène qui milite pour l'espoir au-delà du désespoir, cette Bohème s'accommode également d'une composition originale, due à Ben et Marius de Vries (on peut trouver le nom de ce dernier aux génériques de Moulin rouge et La La Land), partition hétéroclite, comme glanée sur la bande FM, mais efficace dans sa mission d'accompagner levers et tombers de rideaux, comme de positionner le curseur temporel de la conception de .

Le metteur en scène américain, déjà auteur d'une Traviata bâloise, installe l'Eden de l'Amour qu'est pour lui le populaire opéra de Puccini dans le quotidien rugueux d'artistes contemporains en herbe, forcés à la colocation dans une banlieue squattée (Marcel peint sa Mer Rouge à la bombe sur les murs), à la récupération de vieux meubles (Mimi mourra sur un canapé de vieux sièges de voiture), mais indéfectiblement animés d'une solide appétence amoureuse (à l'instar de la Nature sachant surmonter la saison d'hiver, dixit encore Kramer). La métaphore de la mort et du renouveau des sentiments est filée par le biais du sapin de Noël : encore emballé prêt à la vente à l'Acte I, immense et enguirlandé sur la place de la ville en fête au II, dépouillé de ses aiguilles attendant le passage de la benne au III, jeune pousse envahissant le décor du IV, tandis que Mimi s'éteint d'un cancer. Le décor d'Annette Murschetz est un des points forts de la soirée : le cadre de scène est la célèbre mansarde, mais comme soufflée par une déflagration et ouverte au loin sur la rue, dont la constante réminiscence dit bien le quotidien, entre intérieur et extérieur, des Bohémiens épiés par la précarité.


« Votre luxe est notre destitution » accuse un graffiti à cour. « When ? » questionne une immense piéta taguée sur le mur de fond de l'Acte IV. Sans être aussi marquante que celle de   à Lyon en 1981 ou de à Macerata en 1983, dont les héros voyageaient du XIXᵉ à nos jours en passant par 14-18 et 39-45 , La Bohème de , malgré une tendance à se reposer par trop sur ses chanteurs, et quelques moments incertains (dont hélas les fins respectives des quatre actes) touche globalement juste.

Au crédit des bonnes idées, la relation Colline/Schaunard. En leur rêvant une relation intime, le metteur en scène se permet d'écrire sur des pages, selon lui laissées blanches par Puccini, donnant ainsi beaucoup de relief à des personnages habituellement bien secondaires. On retrouve avec grand plaisir , découvert in loco en Figaro vibrionnant dans le formidable Barbier de Serebrennikov donné en alternance. On se laisse attendrir par le dialogue du discret Schaunard avec le très extraverti Colline (à la voix claire, plus claire que de coutume) du prometteur Paul-Anthony Keightley. Alexander Vassiliev passe sans problème de Benoît à Alcindoro.  Face au Marcello imposant et stylé de , en Rodolfo bien que très à l'aise sur « Che gelida manina », s'avère plus incertain lors des interventions récitatives. La torrentueuse Musette de recueille plus d'applaudissements que ;  ce qui n'est pas tout à fait justice, la vibrante Mimi de la soprano n'appelant vraiment aucun reproche : déjà appréhendée en Traviata à Nice, la voix, belle et lumineuse, rehaussée d'une présence scénique très vivante, fait de la plaintive cousette une jeune femme volontariste et insaisissable, que ce soit sous de très beaux costumes affirmant une volonté de ne pas laisser la misère prendre le pas sur la séduction, ou sous le bonnet post-chimio de la fin.

Crédits photographiques : © Priska Ketterer

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