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À Genève, Les Huguenots font leur cinéma

Absents de la scène genevoise depuis près de cent ans, Les Huguenots de Giacomo Meyerbeer font leur retour en version intégrale au Grand Théâtre de Genève.


De tous les opéras de Giacomo Meyerbeer, Les Huguenots reste l'un des projets parmi les plus exaltants qu'un théâtre puisse imaginer. C'est le défi qu'a voulu relever le Grand Théâtre de Genève dans la cité qui a choisi de vivre selon le parti de la Réforme depuis bientôt 500 ans. C'est dire si, dans l'esprit des Genevois, cette destinée historique est ancrée, quand bien même notre époque s'est fort heureusement libérée des rigueurs calvinistes. L'opéra de Giacomo Meyerbeer s'attache à vouloir raconter les tenants et aboutissants du massacre de la Saint-Barthélémy, un épisode tragique et point culminant de l'incompatibilité politique opposant les élites catholiques et protestantes.

À Genève, on a voulu rendre hommage à la fois à l'Histoire et au grand-opéra. Pour cet immense défi, on a fait appel aux metteurs en scène et dont la chronique genevoise avait pu s'offusquer de leur mise en scène de Norma de Bellini en juin 2017. Point de scandale ici mais une conception scénique sans grandeur. Malheureusement, au lieu de se borner à raconter ce que le livret nous dit, les deux metteurs en scène ont imaginé une transposition de l'action dans le milieu du cinéma hollywoodien des années cinquante. Certes, les canons du grand-opéra pourraient se rapprocher de cette époque artistique mais encore faut-il qu'une idée (celle du cinéma) tienne la route pendant les plus de quatre heures de spectacle. Or, ce n'est pas le cas. En mélangeant les époques, avec des parodies de Charlot, les westerns côtoyant les robes de cour, avec des décors rappelant la cathédrale de Genève avec ceux d'un poste de maquillage, le retour des échelles (si prisées de toutes les mises en scènes des années 2000) avec un tréteau servant tour à tour de chaire d'église (montant et descendant pour admirer la machinerie fonctionnelle du théâtre genevois) et de scène à un French cancan, tout est parasite et explosion d'images n'apportant rien au récit, ni à l'intrigue.

Le rideau s'ouvre sur les âmes mortes du massacre sortant des bas-fonds de la cathédrale alors qu'il n'aura lieu qu'au dernier acte. Cette vision funeste se prolonge avec l'arrivée d'une petite foule de joyeux tennismen. Quelle profondeur d'idée ! Quel beau respect de l'œuvre et du contexte historique ! Quand entre Raoul de Nangis (), le héros de cet opéra, gentilhomme huguenot, on est atterré par la dextérité avec laquelle la costumière () réussit à dévaloriser la personne de l'artiste. Une veste trop large, des pantalons lui enserrant le dessus de la taille, une chemise tachée de sang, voilà le portrait signé d'un perdant. Avant même qu'il ait prononcé le moindre mot, chanté la moindre note, on sait qu'il mourra.


Pendant les deux premiers actes, on croit assister à une comédie alors que le livret affirme qu'un drame se prépare. Dans cette mise en scène, on ne prend rien au sérieux, on se moque de tout. Quelle signification à cette danse de Saint Guy générale ? Le combat de Raoul de Nangis avec le Comte de Nevers doit-il être un match de boxe ? Et pourquoi se croire obligé de mimer un jazz-hot à chaque fois que la musique de Meyerbeer est rythmée ?

Pourtant quelle belle musique Meyerbeer nous propose. Chez les solistes, si la part des rôles secondaires est très bien distribuée, on sera plus réservé sur les rôles principaux. En donnant au ténor (Raoul de Nangis) le rôle principal, on a certes privilégié l'un des seuls ténors actuels à pouvoir lancer les aigus de cette partition sans jamais démériter. Toutefois, on a oublié le caractère profondément héroïque du personnage et donc sa manière de chanter. Si on apprécie volontiers sa souplesse vocale, sa bonne diction et ses délicates couleurs, nous avons un amoureux comme Nemorino de L'Elisir d'Amore alors qu'on attend un vaillant Manrico du Trovatore. Après un début difficile, peinant à trouver les notes les plus basses de son registre, (Marcel), conscience de Raoul, se retrouve dans les derniers actes où il redevient l'artiste généreux qu'on connaît. Avec le baryton-basse (Comte de Saint-Bris), le méchant est bien campé. La voix dure, sèche et timbrée du chanteur convient parfaitement, même si, avec ce rôle écrasant, la fatigue l'amène à quelques légères défaillances en fin de soirée. Que peut-on encore dire de l'excellence du baryton (Comte de Nevers) ? Paraissant décontracté, sûr de lui, il fournit un personnage d'une aisance déconcertante. Vocalement admirable, avec une voix tout en rondeur, s'attribuant dans une intelligence interprétative les moindres subtilités du langage dont il excelle la prononciation, il est au théâtre dans son élément. Une note positive pour le ténor (Comte de Tavannes) aux aigus brillants sans stridences. Une bien belle voix !

Chez les dames, l'entrée de la mezzo-soprano (Urbain) est un bienfaisant bain de fraîcheur dans une ambiance qui tendait alors vers une certaine morosité. Son « Nobles seigneurs, salut ! » montre outre la comédienne pimpante, une chanteuse dont la voix, même s'il elle est d'une puissance limitée, s'affirme d'une agilité et d'une coloration peu commune. Au début du deuxième acte, avec l'air « Ô beau pays de la Touraine » on s'attend aux feux d'artifice vocaux que l'histoire de cet opéra a laissé avec les Joan Sutherland et autres Beverly Sills. Mais (Marguerite de Valois) reste assez éloignée de ces références quand bien même la soprano possède une belle agilité vocale. On espère qu'elle osera la folie dont nous avions ressenti l'existence dans sa Reine de la Nuit à l'Opéra de Lausanne en mars 2010, mais le déclic n'opère pas. On se contentera de trop sages vocalises noyées dans une diction incompréhensible. Dommage, le talent est là. C'est avec la soprano américaine (Valentine de Saint-Bris) qu'on a les meilleurs moments de la soirée. Dans un français parfaitement articulé, la jeune soprano allie la distinction des phrasés à l'humanité de son personnage. Et pour incarner tout ça, elle possède une voix, une puissance expressive, une justesse de son, des nuances de grande dame du chant. En parfaite symbiose musicale avec (Raoul), elle habite la scène avec des accents tragiques nimbés de terreur et d'amour dans le plus pur esprit du grand-opéra.

Même si l'orchestre est trop enfoui dans la fosse pour pouvoir déployer ses atouts au-dessus de l'espace sonore dévolu aux chanteurs, à la baguette, donne le meilleur d'un en très belle forme. Sur scène toutefois, les exigences de l'œuvre ne sont pas toujours à la hauteur de l'enjeu, comme nous l'avons vu. À commencer par le dont on note de nombreux décalages. À sa décharge, il faut relever sa quasi omniprésence scénique dans une partition très demanderesse.

Crédit photographique : © Magali Dougados

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