- ResMusica - https://www.resmusica.com -

De la maison des morts par Frank Castorf : un opéra en enfer

De la maison des morts, premier DVD d'opéra pour , est une épreuve pour tous.

Le dernier opéra de Leoš Janáček a connu les grandes lectures scéniques de Chéreau (DVD DG) à Aix en 2007, celle de Carsen pour l'Opéra du Rhin en 2013, parangons de lisibilité. Ce n'est absolument pas le cas de celle que le metteur en scène donna à voir à Munich en 2018, et pour laquelle il applique le régime de son Ring pour Bayreuth. Un Ring qui avait donné beaucoup de grain à moudre à ses spectateurs à cause de la manie (du style) de Castorf de surcharger la scène de pléthore de références indéchiffrables à la première vision, et même au-delà sans un conséquent travail de recherche.

La brièveté de De la maison des morts s'accommode difficilement d'un tel traitement qui donne le sentiment au spectateur d'avoir toujours un temps de retard sur une linéarité sémantique qui semble du coup ne jamais advenir. Certes le fil narratif du roman de Dostoïevski, sur lequel Janáček a lui-même bâti son livret, se distend régulièrement entre les récits de trois bagnards d'un quotidien pénitentiaire qu'éclaire la seule perspective d'un aigle blessé qui parviendra peut-être à voler (Carsen envoyait un aigle véritable survoler le public !). Retendre ce fil, comme le pouvoir des notes de Janáček a su le faire, importe comme une guigne à Castorf qui, dès le Prélude, superpose même à une narration déjà complexe la surimpression vidéographique de textes périphériques. « L'homme est malheureux parce qu'il ne sait pas qu'il est heureux », issu des Démons du même Dostoïevski, en est le plus lisible.

On retrouve dans le décor d'Aleksandar Denić le spectaculaire dispositif du Ring : une tournette qui tourne cette fois à vide, encerclée de rampes et de miradors de projecteurs braqués sur le glauque d'un goulag grouillant de violence et de turpitudes, dont on ne discerne rien (malgré une caméra embarquée qui semble capter pour capter) tant la profusion (la confusion ?) d'informations y est constante. Les lapins ont remplacé les volailles dans la cage et c'est sur ceux-là qu'on finira au cours d'un épilogue muet. Castorf ose d'intéressants parallèles : l'un entre Goryanchikov et Dostoïevski (« Je ne recueille que du matériel pour mes œuvres futures »), l'autre entre l'Aigle et Aljeja (seule voix féminine de l'oeuvre), qu'il empanache comme l'Oiseau de la forêt de son Siegfried. Mais il ne sait que faire du chœur. Quant à la providentielle Pantomime du II, vraie réussite chez Carsen, seule faiblesse chez Chéreau, son défilé de postures grotesques en guise de dramaturgie confine au grand n'importe quoi. Lorsque le rideau tombe comme il s'est ouvert, on en est encore à se demander ce qui s'est passé sous nos yeux dans cette prison-foutoir pour hommes où les femmes vont et viennent.

La direction de , précise, tranchante et sèche, semble lutter pour sa survie face aux images dénuées d'émotion d'une production malmenant à loisir d'excellents chanteurs (d'abord le superbe en Skuratov, mais aussi, tous marquants, en Shishkov marqué de pustules, en Goryanchikov, en Filka/Luka, en sadique garde-chiourme, en Don Juan, la lumineuse Evguenya Sotnikova en Aljeja). On plaint le chœur, pourtant impeccable, en persona non grata renvoyé sans ménagement après chacune de ses interventions.

Cette épreuve pour tous n'épargne pas Andy Sommer. Dépassé en son temps par le Tristan de Py, le vidéaste est impuissant à maîtriser le tournis infligé par le Janáček de Castorf. Elle n'épargne pas non plus le spectateur du Bayerische Staatsoper et a fortiori celui du présent DVD. Rappelons tout de même combien De la maison des morts, opéra militant pour la suprématie de l'humanité sur le fumier, est un opéra magnifique.

(Visited 744 times, 1 visits today)