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Des Contes d’Hoffmann passionnants, une vidéo frustrante

On attendait beaucoup de ce DVD, premier reflet pérennisé du style Kratzer.

Le Crépuscule des dieux à Karlsruhe, La Force du destin à Francfort, Guillaume Tell à Lyon, des Maîtres-chanteurs que la rumeur dit supérieurs encore, Tannhäuser à Bayreuth… le formidable talent de conteur du jeune metteur en scène allemand se serait-il égaré dans le labyrinthique chef-d'œuvre d'Offenbach ou bien est-il victime, à l'Opéra d'Amsterdam, d'une captation à laquelle il est tant demandé, que la bonne volonté de celle-ci s'essouffle en cours de route pour finir exsangue dans les canaux vénitiens de l'Acte de Giulietta ?

L'auditeur a fort à faire dans cette mouture musicale de 2h45 naviguant entre les récentes versions K/K (Kaye/Keck), tandis que le spectateur n'est pas en reste, qui aimerait être partout à la fois et doit se contenter de recoller les morceaux que le vidéaste tente de lui livrer du puzzle conçu par comme par , dont le décor pharaonique abrite le principe excitant des actions simultanées sur les trois étages d'une maison de poupée vue en coupe. En son centre, apparaît d'abord la pièce maîtresse : le studio d'Hoffmann, artiste photographe contemporain en quête d'idéal féminin. Autour de cet espace-référent, où Hoffmann, après une nuit bien alcoolisée, narre ses déboires à une bande de potes, apparaissent moult pièces qui sont autant d'espaces mentaux. Le genre de spectacle où l'on rêve comme jamais d'être dans la salle.

L'Acte I intrigue immédiatement avec son audacieuse façon de planter le « décor alcoolique » sans le chœur. L'Acte d'Olympia, dont la conclusion donne à voir l'extraordinaire sens dramatique de Kratzer, impressionne globalement, bien qu'il soit déjà impossible de distinguer l'identité des créatures qui s'agitent dans le grenier d'un Spalanzani énucléeur en série. Très forte conclusion également pour un Acte d'Antonia conclu dans le sang, au cours duquel on aura perçu çà et là quelques signes avant-coureurs de fatigue filmique, de la part d'une caméra pleine de bonne volonté, mais peinant à suivre la multiplicité des agissements dans la multiplicité des pièces. Quant à celui de Giulietta, le voilà rendu trivial et banal par la quasi-impossibilité de distinguer quoi que ce soit dans la pénombre qui baigne toutes les cases de l'action : un comble pour une production aussi spectaculaire. Quoique, reconnaissons-le, d'une inspiration moins originale que celle des titres de gloires kratzeriens pré-cités, d'une lisibilité plus flottante aussi : on ne comprend pas vraiment pourquoi le héros quitte ou non son studio (il ne rencontre jamais Antonia), dont les cloisons sont abattues, soit dans un redoutable gros plan, soit en un inexplicable hors-champ, et encore moins pourquoi seule la plèbe vénitienne y est autorisée in fine à faire irruption…

La direction de suit la même trajectoire : la palpitante urgence du démarrage doit céder peu à peu devant une certaine précipitation. La distribution est globalement marquante : John Osborne est un Hoffmann solaire, aussi confondant que son compatriote quant à la prononciation du français. Ce qu'on ne concédera pas à Ervin Schrott, très en voix, mais dont la beauté du diable (sous-exploitée par Kratzer) s'efface devant l'histrionisme de la prestation. L'Olympia de rayonne sur un trio féminin très engagé mais plus sujet à caution : l'Antonia toutes tripes dehors d', malgré la robe de fillette dont la mise en scène gratifie le personnage, ne fait pas toujours vraiment son âge, tandis que la Giulietta de flamboie par-delà voyelles et consonnes. Quelques excellents comprimarii, dont le luxe d'une poignée de Français (, , ), un ad hoc dans le quarté Andrès/Cochenille/Frantz/Pitinaccio, un chœur très présent bien que souvent relégué en coulisses, achèvent de peaufiner la vision d'un artiste dont un vidéaste aura tenté, comme Giulietta, de capturer le reflet complexe.

On gardera pour la fin le personnage principal : la Muse. Irene Roberts chante et joue avec classe et naturel le personnage que seul le héros ne voyait pas : la femme omniprésente car amoureuse. C'est sur elle que pose un regard qu'on n'oubliera pas.


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