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Avec Juan Diego Flórez, Cucurrucucú Paloma à Pesaro

La 41e édition du Festival de Pesaro 2020, menacée puis réinventée pour ces temps de pandémie, est forcément « exceptionnelle ». Un condensé de Rossini qui s'enflamme avec les bis de .

Un Viaggio irréprochable… sans plus

Comme tous les autres festivals, le ROF a été près d'annuler. Il fallait cette année redimensionner la programmation et concilier deux impératifs, l'élargissement des espaces et la réduction du public. Dans la configuration Covid, le théâtre Rossini, rouvert pour l'occasion, ne peut accueillir que 180 spectateurs au lieu des 680 habituels, c'est pourquoi la Cambiale di matrimonio, précédée de la Cantate Giovanna D'Arco a été retransmise en direct sur la Piazza del Popolo et en streaming sur internet.

L'autre lieu utilisé pour les spectacles est la Piazza del Popolo, lieu symbolique où le public du ROF a pu entendre par le passé entre autres , Montserrat Caballé, , … Depuis la création par de l'Accademia Rossiniana (qui porte désormais son nom), Il Viaggio a Reims réunit chaque année les jeunes chanteurs lauréats à 11h du matin sur la scène du teatro. Elle n'a pas pu avoir lieu cette année et il n'y avait pas de lauréats. L'opéra est donc donné cette année à 20h30 avec d'anciens stagiaires de l'Accademia, aujourd'hui chanteurs confirmés, comme partie intégrante du programme. La mise en scène minimaliste créée par en 2001 a été parfaitement adaptée à l'immense espace de la piazza dont la capacité est passée de 5000 places à 680.

Si le niveau des chanteurs est beaucoup plus homogène, car le ROF a fait revenir les meilleurs, les altérations à la mise en scène pour cause de distanciation sociale nuisent à la vivacité du spectacle, moins charmeur, moins spontané… Reste trois heures de plaisir musical, la fraîcheur inaltérable du décor, les merveilles de la musique, suite d'airs sublimes que les habitués connaissent par cœur. Avec le plaisir supplémentaire de retrouver certains chanteurs déjà entendus et appréciés dans leur rôle.

Maria Laura Iacobellis, surgie d'une arcade latérale chante divinement les interminables espoirs de la poétesse sur « l'aurore de l'âge d'or » pour l'Europe, portée par la douce harpe d'Irene Piazzai, et Claudia Muschio caricature à peine un peu trop la Folleville. Il faut dire que les écrans géants, dont la lumière violente durcit les visages des chanteurs, n'aident pas. Chiara Tirotta est une irréprochable Melibea, Diego Savini un Don Profondo bien campé, comme le Don Alvaro du très jeune et prometteur Jan Antem. Le Trombonok de Michael Borth est sérieux à souhait en chantant la terrible nouvelle qu'il n'y plus de cheval disponible pour aller à Reims ! Nicolò Donini revient avec un Lord Sidney très aristocratique, Matteo Roma est toujours un Belfiore exubérant et agile, et Pietro Adaini un fier Libenkof. Claudia Urru retrouve Madama Cortese, Alejandro Sanchez Don Prudenzio. Dirigé par Giancarlo Rizzi, l'Orchestra Sinfonica G. Rossini apporte la netteté et la précision nécessaire à la mécanique musicale, notamment dans les ensembles Non posso piu frenar, au début et dans le grand ensemble à 14 voix : A tal colpo inaspettato (Ah, quel coup inattendu !). C'était beau, techniquement irréprochable, …et distant.


Le « choc électrique »

Ce soir-là, presque tous les sièges disponibles sur la place étaient pleins. Le public attendait la star, l'enfant du festival. Venu presque tous les ans à Pesaro depuis ses débuts au ROF en 1996, le chanteur qui a une maison dans les collines qui entourent la ville proposait des « raretés rossiniennes » et sa participation à un concert final dans le cadre du projet international Perpetual Music Rolex, dont la publicité s'étalait sur les deux écrans géants avant le début des spectacles.

Rien sur le dépliant déposé sur les sièges par des mains que l'on espère gantées, pour donner un contexte historique aux pièces jouées, très peu connues, alors que la Fondation Rossini est l'éditrice de ces œuvres. Souplesse, élégance, délicatesse, couleurs, la voix de Flórez se joue des quelques airs alternatifs. Les pièces pour orchestre, particulièrement la Sinfonia scritta al Conventello, font parfois penser à des exercices de style de jeunesse. Un récital intéressant qui a permis de découvrir des pages orchestrales et des airs peu entendus, écrits parfois spécialement par Rossini pour un chanteur, sous la direction limpide et vive de . Une petite heure de perfection vocale et instrumentale, avec un Flórez cravaté, debout, sanglé dans un costume croisé sombre, un peu crooner tout de même… À la fin du concert, le public soumis applaudissait…

Et puis, un machiniste a apporté un siège haut. Quelques instants plus tard, est réapparu, souriant, une guitare à la main. Il s'est assis. Il a dit qu'il allait chanter quelques chansons sud-américaines. Puis il a commencé, Besame mucho, chanté avec un grand sens du rubato. La magie d'un virtuose du belcanto au service de musiques qui touchent les cœurs depuis des lustres enchante le public. Juan Diego arrache sa cravate et continue… Cielito lindo avec des changements de registres époustouflants, puis la tension augmente avec El dia que me quieras, un tango très lent de . Applaudissements. L'accessoiriste vient et emporte le tabouret. Mais Juan Diego Flórez revient encore. Il commence avec l'orchestre une Danza rossinienne endiablée et fait battre la mesure aux spectateurs. Il sort.

Est-ce fini ? Non ! Flórez aussi est heureux, cela se voit et cela se sent ! Le tabouret et la guitare réapparaissent, et il chante Marechiaro. Puis, il dit son affection et sa reconnaissance envers le ROF et commence une chanson très lente au début, avec un grand sens du suspense, Dicen que por las noches nomás se le iba en puro llorar, mais personne ne pleure dans le public au contraire. Aïe, aïe, aïe, aïe… La Paloma explose en Cucurucuccu, c'est le délire !

Interrogé par le Corriere della sera, Florez déclarait, le 11 août, « J'aimerais recréer, comme nous le faisions souvent avant la pandémie, ce lien fantastique pendant les concerts entre l'interprète et le public. Briser les barrières. Créer ce choc électrique qui commence sur scène et réussit à entraîner tout le public autour de vous dans une étreinte affectueuse. » Réussite complète, un grand moment d'émotion de ce festival. Enfin !


Dans le Teatro Rossini vide au deux tiers

Dans le théâtre quasiment vide, deux personnes par loges, les 47 musiciens de l'orchestre sont au parterre vidé de ses fauteuils… Devant le rideau de scène, chante la cantate Giovanna d'Arco, deux récitatifs, deux airs, de sa voix de contralto lisse et profonde. Elle parle de sa mère, de l'ange de la mort, de la victoire. C'est beau, un peu ennuyeux. Puis, sans entracte, le rideau se lève sur une rue anglaise,idéalement reconstituée dans tous ses détails.

qui mène une double carrière de ténor et de chef d'orchestre, à la tête de l'Orchestra Sinfonica G. Rossini, dirige avec entrain cet opéra composé par un Rossini de 18 ans, le premier à avoir été représenté, porté par un qui en fait un peu trop dans le rôle du barbon Tobia Mill. Giuliana Gianfaldoni chante une Fanni mélodieuse et enjouée, agile dans l'air Vorrei spiegarvi il giubilo. dans le pâle Edoardo Milfort tient tête au charisme de qui campe avec aisance un jeune et beau Slook extraverti, honnête et plein d'esprit, charmeur même, pourvu d'une voix souple et sûre. L'Angleterre face aux manières délurées du Nouveau monde ! La Clarina de Martiniana Antonie chante son Anch'io son giovine avec tout l'humour requis. La mise en scène est signée par , autre ténor qui a changé de peau, assisté de Gary McCann pour les décors et les costumes. Tout est parfait, presque trop, un peu comme au Met. L'opéra sera repris en janvier 2021 au Royal Opera House de Mascate, au sultanat d'Oman, qui l'a coproduit.

Crédits photographiques : © Rossini Opera Festival

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