- ResMusica - https://www.resmusica.com -

L’hommage de Radio France à Claude Samuel

, décédé en juin dernier, fut producteur puis directeur de la musique à Radio France de 1989 à 1996. La Maison ronde lui a rendu hommage au cours d'une soirée riche et longue, où choix musicaux, archives sonores et témoignages ont retracé la carrière hors norme de cette figure de la contemporaine.

En préambule, Lionel Esparza, producteur à France Musique, est sur scène pour proclamer le palmarès 2020 du Prix des Muses et annoncer officiellement la nouvelle appellation du Prix, dont on doit l'existence depuis 1996 à lui-même. À la faveur d'un partenariat avec Radio France depuis quatre ans, le Prix des Muses devient le Prix du livre France Musique . Parmi les quatre lauréats venus chercher ce soir leur récompense, mentionnons le Prix de la biographie attribué à notre confrère pour son ouvrage sur Pierre Boulez (édition Fayard) et le Grand Prix remis à Charlotte Ginot Slasik et Michela Niccolai pour La musique dans l'Italie fasciste, un travail à quatre mains publié chez le même éditeur.

D'Olivier Messiaen, que Claude Samuel a côtoyé durant trente ans, au gamelan balinais pour lequel il se passionnait, le concert tente d'aborder toutes les facettes de cet homme passionné, passeur et bâtisseur, dont viendra nous parler chaque interprète au micro d'Arnaud Merlin.

Un même attachement à Olivier Messiaen relie Claude Samuel et le pianiste qui lance la soirée. Rappelons que ce dernier fut l'élève d' et qu'il collabore aujourd'hui avec la Fondation Messiaen dont Claude Samuel a été la cheville ouvrière. On l'attendait dans une pièce du Catalogue d'oiseaux ou des « Vingt Regards » qu'il joue par cœur. Mais c'est Canteyodjaya (du nom d'un déci-tâla indou) qu'il a choisi, dont la complexité aurait plu à Claude Samuel, nous dit-il. La pièce de 1949 précède les Quatre études de rythme et en préfigure la combinatoire rythmique. Ses violents contrastes de registres et de dynamiques prennent un relief singulier sous le geste toujours très anticipé de notre interprète.

Fasciné par la personnalité de Messiaen – on recense cinq publications de 1967 à 2008, Claude Samuel l'est également par celle de qu'il invite aux festivals de Royan et de La Rochelle, et celle de dont il fait paraître des entretiens. Le percussionniste , soliste du « National » est au centre d'un important dispositif pour interpréter Psappha, un des chefs-d'œuvre de Xenakis où s'affrontent les différentes matières percutées, des coups sauvages sur la grosse caisse à l'étincelle du petit tom vibrillonnant. L'interprète éblouissant nous met à l'écoute de ces sonorités rares où la résonance des métaux, racés eux-aussi, n'est consentie qu'en toute fin de parcours. De Boulez, ce sont les Notations pour piano qu'a choisies , six d'entre elles merveilleusement ciselées sous les doigts du pianiste qui leur donne leur galbe et leur contour singuliers.

C'est à quinze ans et demi que gagne le Concours Olivier Messiaen (fondé en 1967 par Claude Samuel), en jouant par cœur la musique du maître, chose que seule Yvonne Loriod était capable de faire, raconte Claude Samuel dans son livre Olivier Messiaen, les couleurs du temps. Samuel préside le jury du même concours en 2007 lorsque , élève de , remporte le Premier Prix en jouant Les oiseaux exotiques sous la direction de au Théâtre du Châtelet. Elle est ce soir au piano, enchaînant de manière presque impertinente (que n'aurait pas détestée Claude Samuel, ajoute-t-elle) la Romance de Clara Schumann dont elle soigne la polyphonie et le Rouge-gorge des Petites esquisses d'oiseau de Messiaen abordé avec l'énergie du son et la plénitude des couleurs dont elle est experte. Présent également sur scène, le violoncelliste remporte quant à lui en 1986 le Premier Prix Rostropovitch, autre concours prestigieux parmi les sept que l'on doit à Claude Samuel. Du Preludio-Fantasia (Zarabanda) extrait de la Suite pour violoncelle seul de Cassadó à la Sarabande de la Suite n° 3 de Bach, c'est le même calme intérieur, l'élégance et la sobriété du jeu qui nous envoûtent chez un interprète qu'on aimerait retrouver plus souvent sur la scène parisienne. Le jazz s'invite aussi sur le plateau avec le pianiste Manuel Rocheman, disciple de Martial Solal que Claude Samuel honore en contribuant à la création du concours international de piano jazz Martial Solal.

Ils sont nombreux parmi les interprètes (, , …) à évoquer le souvenir du Centre Acanthes (à Aix, puis Avignon, à La Chartreuses de Villeneuve-lès-Avignon et enfin à Metz), une académie internationale pour la promotion des jeunes compositeurs et interprètes qu'a créée Claude Samuel et qu'il a dirigé de 1977 à 2011. Y ont été reçus toutes les grandes figures de la création sonore du XXᵉ siècle, disparus aujourd'hui à l'exception de Gyorgy Kurtag (doyen des compositeurs) qui fut invité en 1995. Au côté de la violoniste , la soprano (qui a enseigné plusieurs années au Centre Acanthes) chante des extraits de Kafka Fragmente, une œuvre que Kurtag dit avoir agencée « avec la gourmandise d'un petit garçon grignotant des bonbons défendus ». D'une seule voix, les deux interprètes nous guident dans ce voyage intérieur et labyrinthique, donnant à chacun des instantanés sonores son intensité et sa vérité.

C'est avec Serguei Prokoviev que notre musicographe hyperactif signe sa première biographie aux éditions du Seuil (la dernière sera celle de Clara Schumann chez Flammarion). La pianiste Idil Biret est venue spécialement d'Istanbul pour jouer les premier et troisième mouvements de la Sonate n° 7, un monument du répertoire pianistique au rythme implacable et à l'écriture acérée qu'elle maîtrise avec une fougue phénoménale. C'est grâce à Claude Samuel qui l'entend à Gaveau, que la pianiste va pouvoir enregistrer la Sonate chez Vega, la firme qu'il dirige à cette époque.

Cette traversée au cœur de la carrière de Claude Samuel se poursuit jusqu'en Indonésie, terre lointaine où le porte sa curiosité innée l'amenant à se passionner pour les musiques du monde, celle de Bali en particulier. Un gamelan, celui de l'ensemble Puspa Warna, trône sur la scène depuis le début de la soirée. Il réunit une dizaine de musiciens (à leurs métallophones, cymbales et autres gongs) emmenés par un des deux joueurs de tambours. Quelques minutes suffisent pour transfigurer l'espace du Studio 104 où le dépaysement opère et la fascination d'un art (couleurs, vibrations et énergie rythmique) dont nous échappent les secrètes combinaisons.

Le concert sera diffusé par France Musique le dimanche 1er novembre dans « Carrefour de la création ».

Crédit photographique : © Jacques Demarthon / AFP

(Visited 873 times, 1 visits today)