- ResMusica - https://www.resmusica.com -

L’intégrale des enregistrements Columbia de Dinu Lipatti, 1947-1948

Ce double disque sorti par APR est un vrai régal pour les fans de .

est connu comme l'un des meilleurs pianistes du XXe siècle, trop tôt emporté par un lymphome hodgkinien. S'il est très réputé comme interprète, et si ses enregistrements ont fait l'objet de nombreuses éditions, parues – entre autres – chez EMI (Clef ResMusica), Opus Kura et Profil Medien, les publications dont il est l'objet ne sont toujours pas définitives en raison des transferts, parfois de qualité douteuse et souvent variable.

Ces dernières années, nous avons néanmoins observé un tournant dans la discographie du pianiste, qui s'est agrandie avec de nouveaux albums précieux, que ce soit les éditions en SACD par EMI/Warner-Japan, le florilège d'inédits sorti par Marston Records, l'interprétation du Concerto pour piano n° 1 de Frédéric Chopin excellemment reportée par Archiphon ou le dernier récital de Dinu Lipatti pour la première fois complet, récemment restauré par Solstice depuis des bandes magnétiques ressorties des archives de l'INA (Clef ResMusica).

De belles surprises ne manquent pas, et à cette liste s'ajoute le double disque du label britannique Appian Publications & Recordings Ltd., regroupant les enregistrements de Lipatti pour Columbia, de 1947-1948.

Cependant, ne nous décourageons pas après l'écoute du premier CD de ce petit coffret, décevant en raison d'un filtrage excessif. Il s'agit d'une reprise du matériel déjà publié par APR en 1999, remarquablement repiqué depuis des copies des masters originaux 78 tours un an avant par Bryan Crimp, mais, en vue de cette parution, « nettoyé » grâce à l'utilisation de nouvelles technologies. Si cette remastérisation a été réalisée avec le maximum de soin afin de réduire autant que possible quelques bruits parasites existants sans affecter la musique, force est de constater que celle-ci souffre quand même, en conséquence, d'un certain aplanissement des harmoniques du piano, l'album de 1999 bénéficiant d'une sonorité plus naturelle et plus nuancée. Au menu figurent uniquement des gravures de 1947 : deux Sonates de Domenico Scarlatti, Jésus, la joie du désir de l'homme extrait de la cantate BWV 147 de Bach dans la transcription de Myra Hess, puis le Nocturne op. 27 n° 2, la Valse op. 34 n° 1 et la Sonate pour piano op. 58 de Chopin, le Sonetto n° 104 del Petrarca de Liszt et, à la fin, le Concerto pour piano op. 16 de Grieg. Bien que toutes ces lectures soient dignes des plus grands éloges, notre attention est portée particulièrement sur celle de la Sonate op. 58 de Chopin, d'une transparence des plans et d'un sens de l'architecture exemplaires, associant à la poésie une rare intensité.

La révélation vient avec le second disque, pour lequel le Concerto pour piano de Schumann, la Barcarolle de Chopin et l'Alborada del gracioso de Ravel ont été fraîchement reportés à partir des 78 tours originaux par Andrew Hallifax. Pour toutes ces œuvres, les repiquages sont stupéfiants par la présence du piano, sa profondeur comme par la « respiration » des gravures. La légendaire interprétation du Concerto pour piano de Schumann, pour laquelle le soliste se voit accompagné par le dirigé par , profite du « souffle » permettant d'entendre plus d'harmoniques que jamais auparavant, décidément moins étouffés que dans les transferts assurés par le studio Abbey Road, disponibles dans le volumineux coffret de Warner dévolu à Karajan comme dans celui paru pour le 75e anniversaire de la phalange londonienne (Clef ResMusica). Par ailleurs, l'Alborada del gracioso de Ravel nous permet, enfin, pour les reports d'APR, d'apprécier pleinement l'articulation de Lipatti, à la fois souple, détaillée et précise, ce qui ne fut pas le cas du SACD « Souvenir » sorti par Praga Digitals en 2015. De même pour la Barcarolle de Chopin, pour laquelle nous entendons pour la première fois autant de nuances dynamiques et – en particulier – leur éventail aussi large.

Ces morceaux sont complétés par les enregistrements de Lipatti avec le violoncelliste . Tous les deux firent, en mai 1947, une tournée en Suisse, mettant à l'affiche des sonates de Bach, Beethoven et Brahms. Le 24 mai, ils se rendirent au studio Wolfbach à Zurich afin de graver six disques 78 tours en guise de tests pour Walter Legge. Bien que les masters originaux semblent égarés à jamais, nous disposons aujourd'hui – grâce à Ulrich Bracher, un ancien élève de Janigro – de copies de cinq d'entre eux, gardées sur une cassette audio et sous forme d'acétates 78 tours repiqués pour APR par Werner Unger d'Archiphon : l'Allegro ma non tanto de la Sonate pour violoncelle et piano op. 69 de Beethoven, l'Andante de la Sonate BWV 1003 de Bach dans la transcription d'Alexandre Ziloti, Après un rêve de Fauré dans l'arrangement de Casals, la Pièce en forme de habanera de Ravel dans l'arrangement de , ainsi que Le Vol du bourdon de Rimski-Korsakov. Quelques-unes de ces plages sont déjà parues dans le coffret publié pour le centenaire du pianiste par Profil Medien, mais ce n'est que maintenant que les reports rendent justice au jeu de Lipatti et Janigro. Celui-ci impressionne par la légèreté de l'archet comme par l'éloquence et la virtuosité, tandis que le pianiste subjugue par autant d'engagement physique que de raffinement des couleurs, sensuelles et chaleureuses dans les aigus. Il est dommage et surprenant que Walter Legge, le producteur de ces gravures, n'ait pas aimé le jeu de Janigro et ne les ait pas publiées, selon ce que le violoncelliste avoua à son élève Steven Isserlis dans les années 1970.

Cet album d'APR mérite notre attention principalement pour ce qui est du CD 2, un ajout vraiment bienvenu à la discographie de .

(Visited 885 times, 1 visits today)