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Distribution de luxe pour Robert le Diable de Meyerbeer à Bordeaux

Vingt-et-un ans après l'avoir dirigé à Berlin, revient à Robert le Diable de Meyerbeer à Bordeaux, dans une mise en espace dont l'intérêt principal est de laisser sur le devant de la scène une distribution de très grande qualité.


Premier triomphe parisien de Meyerbeer, apparu en 1831 juste après Guillaume Tell de Rossini, Robert le Diable est aussi la partition la plus faible des quatre grands opéras du compositeur. Elle présente certes l'attrait d'envolées lyriques aux aigus particulièrement hauts, ainsi que de nombreux airs de bravoure pour les chanteurs, mais aussi une partie symphonique encore très chromatique, moins mature que celles du Prophète ou de l'Africaine écrits après. Le livret de Scribe, né comme le compositeur quarante ans plus tôt, est tiré d'une légende normande à l'action sicilienne, dont l'effet dramatique reste intégré à l'unité de temps d'une seule journée. Ayant perdu l'amour d'Isabelle à cause de son père, le diable Bertram, Robert parvient grâce à sa sœur de lait Alice à reconquérir sa belle ; il la choisira dans les ultimes instants ainsi que le testament de sa mère catholique, plutôt que de suivre la facilité des enfers de son père.

Aujourd'hui, à Bordeaux, revient à cet ouvrage déjà présenté par lui dans une nouvelle édition critique en 2000 au Staatsoper Berlin. Et s'il devait reproduire sans doute le coup réussi dix ans plus tôt à La Monnaie avec Les Huguenots, en retrouvant pour l'occasion le metteur en scène Olivier Py, le Covid-19 n'aura malheureusement pas permis à l'institution girondine de proposer une version scénique. L'œuvre est donc présentée à l'Auditorium, dans une mise en espace à la dramaturgie très correcte de , mais surchargée de textes explicatifs inutiles en plus des sur-titres du livret, avec pour avantage d'offrir aux chanteurs un large devant de scène, éclairé par les feux de Julien Brun.

La battue énergique du directeur de l'opéra pousse parfois sans grande subtilité l', pour les marches et autres numéros, mais maintient toujours à chaud d'excellents musiciens, desquels se remarquent certains instruments bien adaptés, dont un ophicléide plutôt que l'habituel tuba, ou encore des bassons français superbes pour leur long solo de groupe. Préparé par Salvatore Caputo, le Chœur de l'Opéra National de Bordeaux laisse ressortir ses solistes lors des parties de chevaliers et de choryphées, mais perd malheureusement en clarté dans les ensembles car les choristes sont encore espacés de plus de deux mètres sur tout le balcon d'arrière-scène. Ils n'en subliment pas moins le célèbre chœur des enfers en fin d'acte III.


Comme à sa création, l'ouvrage retrouve au chant ce qui se fait de meilleur. revient donc encore à Meyerbeer, après ses remarquables Raoul de Nangis (Les Huguenots) de Bruxelles puis Genève, tous deux avec Minkowski, et ses Jean de Leyde (Le Prophète) d'Essen et Toulouse. Mais le chanteur n'est cette fois pas aussi bien préparé, et tandis que tous les autres apparaissent sans partition ou presque, le ténor ne peut de son côté jamais lâcher l'iPad, qui lui sert à redécouvrir à chaque fois son texte lors de cette troisième et dernière représentation, même pour une répétition aussi simple que le mot « Parlez ! ». Plus problématique, on sent qu'il n'a pas assez travaillé sur l'agilité des parties les plus compliquées, dont son premier air et surtout le duo du II, où il est déstabilisé en rythme comme en phrasé par rapport à une Isabelle enflammée.

De la distribution ressort avant tout , Isabelle d'un incroyable éclat sur les multiples aigus de la dernière octave, tant dans les ensembles que pour ses grands airs, dont le plus connu, Robert toi que j'aime, à l'acte IV. est une Alice parfaite, d'autant que la tessiture demandée à l'époque n'existe plus aujourd'hui. Elle se montre ici en véritable soprano dramatique d'agilité. Elle aussi colorée à l'aigu, et exalte une ligne agile sur une très large tessiture. présente un Bertram aussi ajusté, légèrement grimaçant sur certaines phrases, mais d'une chaleur et d'une précision pour déployer le texte qui le placent toujours comme la plus belle basse française actuelle, et donc comme souvent, graves obligent, comme le meilleur Satan. Rimbaut revient à un d'abord hardi, affiné à mesure par le jeu et bien démarqué de Robert grâce à son beau timbre légèrement nasalisé. pour Alberti et le Prêtre, tout comme Paco Garcia en Héraut d'armes puis Prévôt du Palais, présentent un chant ouvert et complètent parfaitement une distribution de haut-vol. Ces représentations ont été enregistrées pour une future parution discographique du Palazzetto Bru Zane, il sera donc possible de les réentendre prochainement.

Crédits Photographiques : © Pierre Planchenault

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