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Stéphane Denève et le Philhar : entre anciens et modernes

Dutilleux, Connesson et Rachmaninov au programme de ce concert de l' dirigé par le trop rare .

fait partie de ces chefs d'orchestre talentueux formés en France qui mènent, on ne sait pourquoi, une carrière quasiment exclusivement hors de France… Après avoir été directeur du Royal Scottish National Orchestra, du Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR et du Brussels Philharmonic, il est actuellement à la tête du St. Louis Symphony Orchestra et du New World Symphony. Rarement présent sur les scènes françaises, on connait sa passion pour la musique du XXIᵉ siècle et la mission qu'il s'est donnée de tisser un dialogue entre répertoire du passé et celui du futur, ce dont témoigne le programme de ce soir convoquant Dutilleux avec ses célèbres Métaboles, (né en 1970) pour la création française du Tombeau des regrets et avec les Danses symphoniques et la Rhapsodie sur un thème de Paganini interprétée par le pianiste en soliste.

Deux générations différentes mises en miroir ce soir pour représenter la musique d'aujourd'hui, et contrairement à ce qu'on pourrait croire, le plus moderne des deux n'est pas celui qu'on pense… D'un côté avec ses Métaboles (1964) : une composition très intellectualisée qui s'adresse peut être plus à la raison qu'au cœur, construite sur une suite de cinq mouvements dédiés chacun à un type d'instruments (bois, cordes, cuivres, percussions et tutti), vaste concerto pour orchestre dont le principe de composition repose sur la métamorphose de figures musicales s'engendrant mutuellement suivant le principe d'un temps circulaire dans un discours largement atonal et coloré où l'art de la variation parait d'autant plus accompli qu'il reste insaisissable. Une œuvre désormais célèbre servie par un « Philhar » flamboyant (foisonnement des bois, lyrisme des cordes, ostinato des cuivres, richesse des percussions). Face à ce débordement orchestral, s'inscrit, a contrario, dans la tradition en ressuscitant le genre musical du Tombeau, mais en s'adressant de façon plus abstraite au temps qui passe avec son Tombeau des regrets, en création française ce soir. Une pièce qui fait la part belle au cordes, créée en 2017 par l'Orchestre de Philadelphie (dont était à l'époque le principal chef invité), sorte de grand mouvement lent aux allures d'élégie dont on admire le lyrisme et la déploration contenus, la fluidité du phrasé, la clarté de la polyphonie exaltant les différentes lignes du quatuor (superbes altos) avant une entrée progressive des bois et des cuivres culminant dans un impressionnant crescendo ponctué par le tam-tam auquel fait suite une coda qui marque le retour au silence, véritable désert du cœur d'où émergent les gémissements de la clarinette et du célesta… Magnifique !

Face à tant de beauté, Rachmaninov relève hardiment le flambeau avec La Rhapsodie sur un thème de Paganini (1934), authentique « Cinquième concerto pour piano », joliment interprétée par le pianiste . Celui-ci en donne une interprétation très colorée et convaincante tout au long des 24 variations sur le 24e Caprice : tour à tour méditative, motoriste, percussive, jazzy, lugubre, douloureuse, lyrique, sardonique, ludique, épique dans la coda autour du thème du Dies Irae, mais toujours virtuose où l'on ne peut qu'admirer la finesse de jeu du soliste et la complicité étroite avec l'orchestre (petite harmonie, cor anglais, cordes, cor, harpe). En bis le Liebesleid de Fritz Kreisler dans sa transcription pour piano de Rachmaninov parachève cette remarquable interprétation dans un climat plus apaisé.

Rachmaninov toujours pour conclure ce beau concert avec les Danses symphoniques (1940). Équivalentes d'une quatrième symphonie, ultime composition de Rachmaninov, ces Danses fantastiques peuvent être scindées en trois mouvements successifs : Non Allegro tout imprégné d'un intense sentiment d'attente parfaitement rendu par Stéphane Denève qui impressionne par sa gestion magistrale des nuances, sa maitrise rythmique et ses élans dynamiques où se distinguent tout particulièrement la petite harmonie, le très attendu solo de saxophone, les notes acidulées du célesta et de la harpe, le lyrisme nostalgique des cordes) ; l'envoutant Andante constitué d'une grotesque, hoquetante et décadente caricature de la valse rappelant Ravel avec ses célèbres faux départs, menée avec humour par Stéphane Denève sur une dynamique enlevée, tendue, fortement cuivrée ; Finale enfin, comme une course haletante autour du thème du Dies irae, avec beaucoup d'effets sonores (contrastes abrupts, silences répétés) et à grand renfort de cloches, d'affrontement des masses orchestrales scandé par les percussions et de religiosité d'une grande profondeur lyrique comme un lointain rappel du pays natal.

Crédit photographique : © Jessica Griffin

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