Le collectif ActeSix, dirigé par Samuel Hengebaert et mis en scène par David Lescot propose un fabuleux spectacle, Quand les lumières s'éteignent, consacré aux musiques interdites du IIIe Reich. Un grand moment d'émotions et un appel à la vigilance.
Il est des concerts qui résonnent comme un manifeste. C'est particulièrement le cas du dernier spectacle du collectif ActeSix, donné à Tourcoing après avoir été créé à Caen dans le cadre de la saison de l'Atelier Lyrique. Quand les lumières s'éteignent met en scène, sous la forme d'un cabaret imaginaire, les musiques interdites du IIIe Reich, la « Entartete Musik« , bannie par les nazis comme « dégénérée » car ne correspondant pas aux critères de la « pureté allemande » et écrite par des compositeurs juifs, communistes, homosexuels, « bolchevisés » ou avant-gardistes. Ils firent l'objet d'une exposition en 1938 à Düsseldorf, moins connue que celle consacrée à la peinture en 1937 à Münich, mais reposant sur les mêmes principes.
Ces « musiques disparues« , beaucoup de ces compositeurs ayant été exilés, déportés, assassinés, le collectif ActeSix a voulu les faire entendre à nouveau. D'abord par la publication d'un triple disque (ed. Standard) sous la direction musicale de Samuel Hengebaert et désormais sous la forme d'un spectacle écrit et mis en scène par David Lescot. C'est tout un continent musical oublié, d'un bouillonnement artistique inouï qui renaît à travers ce cabaret imaginaire, animé par Lucile Richardot et Éléonore Pancrazi, deux « Mesdames Loyal » impertinentes et impitoyables, à l'aise dans tous les registres vocaux.
On y croise des compositeurs célèbres (Kurt Weill, Alban Berg, Paul Hindemith), mais aussi beaucoup d'autres encore trop rarement joués comme le génial Erwin Schulhoff (1894-1942), auteur de In Futurum (1919), une minute de silence pianistique, trente ans avant la célèbre 4'33 » de John Cage, ou encore d'une dadaïste et provocatrice Sonata Erotica pour voix seule. Il y a également le merveilleux Trio pour violon, alto et violoncelle de Gideon Klein (1919-1945) retrouvé dans la valise qu'il transportait au camp de concentration de Fürstengrube où il est mort en 1945, juste à la découverte du camp par les troupes soviétiques. Enfin la bouleversante berceuse Wiegala d'Ilse Weber (1903-1944), qu'elle chantait aux enfants d'Auschwitz-Birkenau, en les accompagnant dans la mort des chambres à gaz.
ActeSix nous propose aussi de découvrir d'autres « musiques interdites » du XVIIe siècle, les polyphonies de Salomone Rossi (1570-1630), bannies par les nazis pour la seule raison qu'elles étaient chantées en hébreu. Ce sont ainsi les oppressions de tous temps et de toutes formes que dénonce ce spectacle. Avec intelligence, drôlerie et gravité à la fois, ce cabaret des « musiques interdites » nous appelle plus que jamais à la vigilance, au moment où les forces obscures de l'intolérance sont tentées à nouveau de formater les esprits et de réécrire l'histoire.