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Don Quichotte, un jeune homme de 400 ans aux Innsbrucker Festwochen

Le festival d'Innsbruck est avec celui de Beaune, la référence mondiale en matière de musique baroque. Sous la conduite artistique de , la cité olympique accueille chaque année des concerts et des représentations d'opéras.

En ce samedi pluvieux du mois d'août, le public se pressait devant l'imposant et massif Landestheater pour assister à la première du très rare Don Quichotte a Sierra Morena du Florentin à l'occasion des 400 ans de la publication du texte de Miguel de Cervantès. , virtuose du théorbe, a réalisé l'intégralité de sa carrière à Vienne au service de l'Empereur Charles VI de Habsbourg, au point qu'il était un parfait inconnu dans sa péninsule natale. Dès son entrée en fonction, en 1701, il s'est imposé comme un compositeur d'opéras et d'oratorios majeur de la ville du Danube. Composé en 1719, Don Quichotte à Sierra Morena, remporta d'emblée un grand succès et fut même repris à Hambourg en 1722 avant de tomber dans l'oubli, le compositeur, comme tant d'autres, étant victime du succès de Haendel. L'œuvre influencera même Telemann lors de l'écriture de son opéra éponyme. Il fallut attendre 1987 et une réalisation du festival de Buxton pour retrouver l'œuvre à l'affiche. En 1992, était déjà à la tête d'une production de l'œuvre pour le festival d'Innsbruck (mise en scène de Jean-Louis Jacopin et décors de Roland Topor). Cependant, en raison des exigences de la télévision autrichienne, l'œuvre fut grandement amputée pour être réduite à deux heures et demie. Cette année, le chef belge qui a coupé quelques récitatifs, nous offre une version d'une durée d'environ trois heures trente qui comporte la quasi-intégralité des airs et la totalité des ballets.

L'œuvre passe parfaitement l'épreuve de la scène. La structure dramatique est d'une redoutable efficacité alors que la musique se révèle pugnace et dynamique particulièrement dans les nombreuses scènes comiques. Les personnages sont solidement construits tant par leurs aspects humoristiques que par leurs caractéristiques tragiques. Il n'y a aucune faiblesse dans l'histoire qui nous narre les aventures de Don Quichotte amoureux imaginaire de Dulcinée mais aussi les pérégrinations de Cardeno amoureux de Lucinda et celles de Dorothea trahie par son séducteur.

La distribution composée par est d'un très haut niveau. Déjà réunie pour l'ouverture du festival de Beaune, l'équipe arrive sur les bords de l'Inn particulièrement rodée. Grand triomphateur de la soirée, le baryton est le Don Quichotte idéal. Le timbre est rayonnant, la technique admirable et le jeu scénique parfait. Le Français, a déjà abordé le rôle en 1992, et il réussit à rendre toutes les facettes de son personnage aidé par un physique longiligne qui colle idéalement à la silhouette du héros. Son Sancho, le baryton Fulvio Bettini ne s'épargne pas : il court, il danse et il chante! Ce chanteur ravi le public par sa maîtrise des airs les plus délicats comme dans le final déchaîné de l'acte II. Déjà remarquée pour sa prestation dans Rinaldo à Gand (lire l'article de Richard Letawe), Inga Kalna donne une leçon d'interprétation, toute en finesse et en psychologie, de son personnage alors que le chant est encore une fois éclatant. Le jeune contre ténor est la découverte de la soirée. Déjà engagé dans une belle carrière, il impressionne par son timbre et sa saine musicalité. Le ténor n'avait absolument pas convaincu lors de ses dernières apparitions tant scéniques que concertantes, pourtant, visiblement très à son aise, il se révèle juste musicalement et scéniquement. La jeune coréenne est assurément une chanteuse d'avenir, elle charme par son timbre cristallin et sa solide technique pour se jouer des arias les plus délicates. Certainement fatiguée et tendue par la longueur de l'œuvre, elle connaît quelques difficultés avec les aigus au dernier acte. La Française Gaële Le Roi, fait ses débuts à Innsbruck. Elle assure avec présence et éclat le rôle de Maritorne. Mention, encore très bien pour l'Ukrainienne adéquate dans l'interprétation de son personnage. On connaît les défauts et les qualités de l'omniprésent , si le timbre n'est pas des plus séduisants, le chanteur sait les masquer par son engagement scénique. Il faut aussi saluer les très bonnes prestations de Maria Streiffert et de Titus Hollweg. À la tête d'une affûtée et précise, René Jacobs offre une interprétation magique. Le chef belge sait animer la partition et faire exploser les tensions pour dégager les énergies de l'opéra de Conti.

La mise en scène de Stephen Lawless est intéressante. Elle nous propose une sorte de délire dans la bibliothèque où sur fond d'une collection de livres de grands auteurs, le héros de Cervantes se débat avec ses illustres camarades. On peut ainsi reconnaître : Sherlock Holmes et son cher Watson, le petit chaperon rouge, les trois mousquetaires, Cendrillon, Carmen, Lolita … La direction d'acteur se limite à raconter l'histoire en évitant de verser dans des considérations philosophiques de bistrot hors de propos ici. Cependant le dernier tableau nous déçoit un peu. Don Quichotte se retrouve en pyjama et robe de chambre dans un asile où chaque autre personnage vêtu de blanc quitte progressivement la salle. Certes, ce n'est pas injuste au regard du livret, mais la théorie du fou fait partie des poncifs, usés jusqu'à la corde, des mises en scène modernes d'opéras. Un très beau spectacle servi par des interprètes d'exceptions pour une partition dont on espère un enregistrement.

Crédit photographique : © Festwochen/ Larl

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