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La Clemenza di Tito par René Jacobs

Longtemps restée en marge des autres opéras de Mozart, La Clémence de Titus suscite désormais un intérêt presque démesuré.

Les principaux détracteurs de cette œuvre s'en prenaient aux récitatifs, qu'ils attribuaient à Süssmayr ; l'unique présence de copies, parfois corrigées de la main du maître de Salzbourg, ne fait que confirmer la faiblesse de cette hypothèse. Une autre incertitude réside dans le fait que Mozart aurait bâclé l'œuvre en moins de trois semaine. Ici encore, l'hypothèse est très incertaine : le rondo de Vitellia « Non più di fiori », avec cor de basset concertant fut composé sur un texte indépendant. Or il se trouve que quelques mois auparavant, un rondo pour soprano et cor de basset était donné en concert par deux des plus chers amis de Mozart, Josepha Duschek et le clarinettiste Stadler ; on peut donc en conclure que certains passages de l'œuvre viennent d'un contexte antérieur. Se persuader que la Clémence relève de la même genèse que les autres opéras de Mozart permet ainsi de l'appréhender sans a priori.

Il serait mieux venu de s'interroger sur les pesanteurs de l'opera seria et des contraintes qu'impose ce genre quelque peu figé. Et c'est précisément sur ce point que cette version nous a déçue. Si certes Mozart renoue avec ce genre de moins en moins exploité, l'auteur ne nous prouve-t-il pas, ne serait-ce que par ses deux finales et ces rebondissements perpétuels de l'action qui ne doivent plus rien au hiératisme des œuvres antérieures, que son œuvre s'inscrit dans une esthétique fin de siècle ? En ce sens, n'est-il pas décevant de la part de de cloîtrer l'ultime opéra du génie autrichien dans ses carcans les plus classiques ? De toute évidence, si l'on exclut les choix esthétiques du chef, l'orchestre sait jouer : précis, juste et contrasté, il possède assurément toutes les clés permettant de servir la musique de Mozart. Tout comme les chanteurs : nous fait vite oublier ses aigus un peu criés dans « Deh si piacer mi vuoi » grâce à sa technique remarquable ; le duo « Ah perdona il primo affetto » (, ) est également très réussi, leur deux voix se mariant parfaitement. Si (Sesto) est moins convaincante, (Tito) dévoile un très beau timbre dont on serait en droit d'attendre un peu plus de puissance. Pourquoi, alors que l'orchestre tout comme les chanteurs semblaient pouvoir servir admirablement servir cette page de maturité, le chef s'attache-t-il à en offrir la plus soporifique version ? « Il pleut, bergère… » chanta en son temps le bon Fabre d'Églantine à Marie-Antoinette, compatriote et exacte contemporaine de Mozart. Laquelle, trop satisfaite d'elle-même, fit la sourde oreille et eut lieu de s'en repentir ! ne manque pas, lui, de discernement auditif. Qu'il cesse donc d'ouïr les voix l'abusant sur son génie mozartien et retourne musarder dans les vertes prairies de l'aimable Delalande : les moutons à nouveau bien gardés, les mânes du maître de Salzburg retrouveront la paix !

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