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Des trois oranges à croquer !

En décembre 2005, Gerard Mortier avait offert au public parisien un Amour des trois oranges très grand public réglé avec efficacité par son vieux compère Gilbert Deflo.

Le metteur en scène gantois use, avec un peu de facilité, d'une transposition dans le monde de la Comedia dell'Arte avec des effets secondaires du Paris Art déco mondain, luxueux et polisson. Cependant son travail s'avère poétique et spectaculaire car les décors et les effets de mise en scène tirent savamment parti du vaste plateau de l'opéra Bastille. L'humour n'est jamais absent à travers des trouvailles scéniques un peu téléphonées mais toujours probantes à l'image de la cuisinière disproportionnée campée par . Le spectateur pourra ainsi y projeter des allusions tirées de l'univers cinématographique avec un Prince qui ressemble furieusement au Pierrot des Enfants du Paradis. Les chorégraphies intelligentes et la présence de saltimbanques contribuent à notre bonheur visuel. Ce dernier est d'autant plus fort que la captation vidéo parvient à recadrer les personnages et à conserver l'effet des scènes de masse. C'est assez rare en matière de captation d'opéra pour être souligné.

Côté vocal, l'Opéra de Paris s'était adjoint les services d'une distribution assez prestigieuse et de grande qualité. confirme ses compétences vocales alors que le metteur en scène tire parti de sa physionomie longiligne qui séduit par sa fragilité. Très distribuée, parfois à contre rôle, dans les productions de la Grande boutique, touche par sa présence scénique et son beau chant. Les seconds sont chantés avec le plus grand soin, jugez du peu : , et . Du côté des jeunes chanteurs, il faudra rester attentif à . Le chœur de l'opéra de Paris fait assez bonne figure, mais on aimerait parfois plus d'impact et de rondeur.

Dans la fosse, se montre très à l'aise à la tête d'un orchestre en parade. Orchestralement, la partition n'a certainement jamais connu mieux tant le fini instrumental et l'écoute mutuelle des musiciens laissent admiratifs. Cependant, Cambreling dirige peut-être avec un peu trop de cérébralité et peine à lâcher une orchestration débridée et en technicolor. Un sympathique documentaire, d'une bonne demi-heure, propose des entretiens avec les acteurs entrecoupés d'extraits du spectacle.

Pourtant, il ne faut pas bouder notre bonheur tant ce spectacle est une très belle réussite esthétique, dramaturgique et musicale. Certes on peut aller plus loin dans cette œuvre, mais ce fini « haute-couture » très parisien saura plaire aux petits et aux grands. Scéniquement et musicalement on a depuis tellement entendu pire à la Bastille et Garnier qu'au final cette production sera certainement considérée avec le recul comme un grand moment de l'ère Mortier. Le soin apporté à la captation vidéo en font indiscutablement l'un des titres majeurs de la saison. Après le succès de la version russe captée à Aix-en-Provence, Prokofiev et ses Trois oranges sont très chanceux en ce moment !

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