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Die Feen, la vie en rose

Que de chemin parcouru entre ces Fées (opéra composé en 1834 mais représenté seulement en 1888) et l'ultime opus Parsifal (1882). Dans ce premier essai lyrique, avance vers son propre style acte après acte.

Acte I : joyeux charivari où se mêlent Bellini, Weber, Beethoven, Mozart, Gluck, Auber et Mendelssohn. Acte II : de plus en plus de Mozart et de Beethoven, et toujours l'empreinte présente de Bellini, mais le futur maître de Bayreuth commence à poindre. Acte III : seul Beethoven subsiste encore, un peu d'italianitá dans les airs, mais du Wagner dans chaque chœur et chaque passage orchestral. Une œuvre hybride, composite, hétérogène, non dépourvue de charme, mais d'une longueur excessive malgré les coupures opérées dans la partition.

Le synopsis des Fées est à la limite du compréhensible. En gros un mélange de La flûte enchantée, de La femme sans ombre et du Songe d'une nuit d'été (version tragique), récit fantastique où le monde des humains se mêle avec malheur au monde des esprits. Le prince Arindal lors d'une partie de chasse poursuit une biche, en réalité la fée Ada qui prend forme humaine. Coup de foudre. Ada peut vivre en mortelle son amour, et arrache Arindal et ses amis aux siens pendant huit ans. Mais… le père d'Ada, le Roi des fées, impose ses conditions, forcément inhumaines. Arindal de retour dans son pays ravagé par la guerre défie ses ennemis, aidés par Ada (une manigance du Roi des fées) ; le prince maudit son amoureuse… Celle-ci sera statufiée pour cent ans ! Mais l'amour triomphe, et au prix d'un parcours initiatique avec épreuves, Arindal peut reconquérir sa fiancée, l'épouser et régner sur le monde des fées tandis qu'il laisse à sa sœur Lora et son ami fidèle Morald le gouvernement du royaume terrestre. Nous sommes très loin de l'inspiration d'origine, La donna serpente de Carlo Goldoni.

Mettre en scène un tel scénario n'est certes pas aisé. Fallait-il pour autant proposer ce mélange de manga japonais, Cirque Barnum, Priscilla folle du désert, La cage aux folles et Angels in America passé au prisme d'une revue du Lido ? Lumières roses, fumée, ailes d'ange, strass, tenues dénudées (surtout pour ces messieurs) et uniformes japonisants pour les guerriers terrestres peuplent la scène, tant bien que mal, tant la direction d'acteur est déficiente. Côté décors et accessoires, un véritable catalogue de jouets pour Noël : poupées Barbie, lego géant, boîtes magiques et fleur gigantesque. Du rose, du rose et encore du rose, jusqu'à l'écœurement, écœurement que le public a manifesté aux saluts finaux.

Coté fosse, distribue le bon et le mauvais. L'ensemble est de bonne tenue. L'accompagnement orchestral, quand il tient du «oum-pla-pla» du bel canto romantique, ne plonge jamais dans le flonflon ni le vulgaire. En revanche, les déchaînements quasi-symphoniques manquent d'envergure, les cordes sont hétérogènes et les accords de cuivres sonnent souvent faux. L'orchestre, même à son maximum, ne couvre jamais les voix, et c'est là que réside le principal intérêt du spectacle.

Le plateau est un régal pour les oreilles. Le chœur, souvent sollicité, est excellent. A la notable exception de William Joyner, dépassé par le rôle d'Arindal, toute la distribution est en bonne voix. Dans Les fées, pas vraiment de seconds rôles. , Eduarda Melo, et Brad Cooper campent les personnages secondaires avec vaillance. et Judith Gauthier forment le couple comique de l'histoire avec brio. Lina Tetruashvili possède une voix idéale de belcantiste (le rôle de Lora est le plus «italianisant») et domine le plateau, doté d'une projection puissante et d'un timbre ample – vivement un rôle pour lui dans un grand Berlioz. Mais la triomphatrice de la soirée – et révélation parisienne – fut sans doute , wagnérienne accomplie, capable de fortissimi implacables comme d'aigus filés imperceptibles.

Die Feen méritent cette résurrection, mais pas sur un char de la Gay Pride.

Crédit photographique : (Ada) ; (Morald) © Marie-Noëlle Robert

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