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Werther dirigé par Michel Plasson, le grand style français

Antidote salutaire au récent Werther de l'Opéra de Paris, à sa distribution internationale générique et à son pathos exacerbé, la nouvelle production de l'Opéra du Rhin retrouve la mesure et les demi-teintes propres à cette interprétation tellement française du romantisme allemand, dont Les Souffrances du jeune Werther, écrit par Gœthe dès 1774, ne sont d'ailleurs que les prémisses.

Le maître d'œuvre en est sans équivoque le chef qui, à soixante-quinze ans, démontre son amour et sa profonde connaissance de l'ouvrage, qu'il a abondamment servi au disque ou à la scène. Sa direction allante, toute d'élégance et de subtilité, détaille les raffinements de l'écriture orchestrale (l'invocation à la nature, le clair de lune), trouve les tempos justes (l'air «J'aurais sur ma poitrine»), varie délicatement les atmosphères, souligne sans excès les moments dramatiques (l'annonce du suicide). Il parvient à tirer la quintessence d'un Orchestre symphonique de Mulhouse sous le charme et concentré, dont même la verdeur des timbres parvient à s'accorder à sa conception. Une direction magistrale, de style et d'adéquation.

Une même justesse de ton marque la distribution, quasi exclusivement francophone. reprend sa Charlotte au timbre mordoré : en tragédienne accomplie, elle parvient à nous tirer des larmes mais avec, enfin, une intelligibilité irréprochable. Magnifique de ligne, de clarté du timbre et d'élocution, campe un Albert blessé mais sans une once de méchanceté. Dans le rôle souvent ingrat de Sophie, est tout simplement évidente de naturel, de juvénilité, d'aisance vocale. L'intense humanité du Bailli de et le Schmidt caractérisé avec relief par sont au diapason.

La vraie inconnue de la soirée résidait dans la prise du rôle-titre par le ténor américain . Bien qu'ayant déjà à son répertoire Faust de La Damnation de Berlioz et Admète dans Alceste de Gluck, allait-il parvenir à se couler dans la musique si délicate de Massenet ? Et c'est une réussite, à laquelle les conseils avisés de ont dû contribuer. Ce chant sur le souffle, cette ligne racée et sans hiatus des registres, cette qualité de la prononciation et de la prosodie renvoient à la grande tradition du chant français. Le Werther de n'a rien d'un agité ou d'un névrosé ; il est jeune, un peu naïf, idéaliste comme on l'est à son âge, émerveillé par le monde qu'il découvre. On n'en est que plus touché quand il est broyé par le monde extérieur et les bienséances. Notre seule réserve portera sur la négociation du registre aigu, souvent mixé, volontairement peu couvert pour en conserver la clarté, mais qui débouche souvent sur des sons en arrière et étranglés. Peut-être pas un chant idéalement beau mais vrai, ô combien vrai !

, souvent décapante et adepte des relectures, réalise ici une mise en scène d'une sagesse adéquate. La nature, si fondamentale au romantisme et si présente dans l'ouvrage, envahit la cour de la maison du Bailli (une architecture classique) sous la forme d'une colline verdoyante qui monte jusqu'aux cintres. Les costumes, l'ameublement du domicile de Charlotte et Albert qui y prendra place au troisième acte, sont d'époque Biedermeier, intermédiaire entre la parution du livre de Gœthe et la création de l'opéra de Massenet. Des vidéos subjectives évoquent durant les interludes la succession des saisons et des états d'âme.

La direction d'acteurs, enfin, est parfaite de justesse et de naturel, comme ce second acte où tous sont rassemblés autour d'une table pour le repas d'anniversaire de mariage du pasteur et où les interventions successives prennent la forme de gros plans rapprochés cinématographiques. La grossesse de Charlotte au troisième et quatrième actes peut sembler plus anecdotique mais elle a le mérite de rendre tangible ce qui sépare désormais Charlotte et Werther.

Ancré dans la tradition française, tout de délicatesse et de retenue, le Werther strasbourgeois est l'antithèse de certaines lectures théâtralement outrées et orchestralement chargées. Et cependant, il suscite bien plus spontanément l'émotion et la compassion, en un mot l'indispensable catharsis. Il nous est ainsi permis de penser qu'il se rapproche plus étroitement de l'idéal que poursuivait .

Crédit photographique : , (Charlotte) © Alain Kaiser / Opéra national du Rhin

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