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Un chef d’œuvre de Cunningham éclipse Gillot à Garnier

Etonnant ce que des garçons peuvent faire sur des pointes ! C'est la première réflexion qui vient à l'esprit au lever de rideau de la création de pour le Ballet de l'Opéra de Paris.

Pour répondre à cette commande de Brigitte Lefèvre, directrice du Ballet, qui souhaitait compléter la soirée en hommage à d'une œuvre d'un jeune créateur, la danseuse étoile a fait le choix périlleux d'un sol noir lisse et ultra brillant sur lequel elle lance les danseurs dans de longues glissades. Blessures à prévoir !

Un choix qui restreint forcément les ensembles et les déplacements, tout en augmentant les risques de chutes. Son vocabulaire chorégraphique est donc limité à des ports de bras, des épaulements, des portés statiques et ces fameuses pointes, portées par garçons et filles. Sous apparence SM (casquettes SS et cordes nouées façon bondage signés Walter van Bereidonck), les trois solistes qu'elle s'est choisie pour cette unique distribution sont comme un prolongement d'elle-même. On croit même voir son clone, longue liane déliée incarnée par .

Au fil du spectacle, la danse est totalement éclipsée par ce qui se passe dans la fosse, où le Chœur et l' sont dirigés par . Une dramaturgie musicale constituée du Kyrie et de l'Agnus Dei de la Messe n°2 en si mineur de Bruckner, d'une pièce pour clavecin de Ligeti et d'extraits de la Rothko Chapel de Morton Feldman, dans une impeccable interprétation, mais dont ne fait absolument rien. La musique est si puissante que l'on en oublie littéralement les danseurs sur scène, qui disparaissent dans le décor (signé du plasticien Olivier Mosset) sans que l'on s'en aperçoive. Quel bonheur d'entendre diriger à Garnier !

Mais le meilleur est à venir, avec la reprise d'Un jour ou deux, ballet de créé pour le Ballet de l'Opéra de Paris en 1973 et jamais donné dans son intégralité depuis. Un ballet absolument fascinant, à ne surtout pas manquer. Maîtrise du plateau, du temps et de l'espace, ce spectacle offre tout ce que ne nous a pas donné en première partie de soirée. Un jour ou deux est un chef d'œuvre du chorégraphe américain, au même titre que ceux de Balanchine ou Forsythe qui font déjà partie du répertoire de la compagnie. Lumières contenues, académiques dans un subtil dégradé de gris, un tulle en fond de scène qui s'opacifie au fil du spectacle, l'ensemble de la production est d'une remarquable élégance, d'une intense austérité.

Inspiré des exercices quotidiens de la classe de danse, ce ballet est aujourd'hui remonté avec une précision clinique par et Jennifer Goggans pour des danseurs dont la plupart n'était pas nés à la création. Preuve que les danseurs de l'Opéra peuvent tout danser, ils sont exceptionnels ! Pour cette deuxième distribution, on assiste à un superbe solo de , rejoint par , ou plus tard, Valentine Colasante, mais aussi Fabien Révillon, qui relève toutes les difficultés techniques avec brio et surtout , qui incarne l'essence même du danseur cunninghamien.

Le reste de la distribution (19 danseurs sans les solistes) est d'un excellent niveau. L'enchaînement des mouvements – un parfait répertoire des gestes du maître – est très lent et demande une extrême concentration. Les danseurs doivent compter du début à la fin du spectacle, n'ayant aucun repère sur la musique de . Dans la fosse, c'est aussi concentré que sur le plateau, ce qui n'empêche pas les musiciens de passer d'un pupitre à l'autre de temps en temps. Là encore, l' fait merveille, dirigé ici par , qui avait participé à la création de la pièce en 1973.

Crédits photographiques  : Julien Benhamou / Opéra de Paris

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