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Dernière Journée d’un Ring retentissant à Paris

Dernière « journée » de ce projet monumental qui aura occupé Wagner pendant presque trente ans, Le Crépuscule des Dieux, refermant le cycle de l'Anneau du Niebelung dans la production de , est donné à Bastille durant six représentations, juste avant le « Festival Ring 2013 » qui permettra au public d'entendre les quatre drames wagnériens comme à Bayreuth, pratiquement jour après jour, du 18 au 26 juin.

Wagner met six ans pour concevoir son Götterdämmerung dont l'achèvement, en 1874, est postérieur de 20 ans à celui du Prologue, L'Or du Rhin. L'issue tragique qu'Erda, dès la première « journée », avait prédit à Wotan, seul responsable de la catastrophe annoncée, s'accomplit: avec la mort de Siegfried, tué par Hagen, le fils bâtard d'Alberich qui poursuit la mission du père; il doit en effet reconquérir l'anneau maudit que Wotan a dérobé au Niebelung et dont Siegfried s'est emparé en tuant le dragon Fafner. En faisant boire à Siegfried un filtre d'oubli, Hagen inverse le cours de l'histoire. Brünnhilde, l'épouse de Siegfried, abusée et mariée de force à Gunther, se venge de son héros oublieux en organisant son assassinat. C'est en découvrant, trop tard, l'ampleur de la machination, qu'elle décide d'en finir, avec le monde et avec elle-même; elle fait dresser un bûcher géant qui embrase l'univers jusqu'au Walhalla et se jette dans les flammes. L'anneau quant à lui retourne dans les eaux du Rhin.

Au terme de cette élaboration monumentale, la musique du maître de Bayreuth acquiert une densité inédite; on est frappé par la maîtrise et la virtuosité avec laquelle le compositeur désormais agence, combine et fait sonner ses leitmotive à l'orchestre alors que la ligne vocale est d'une ampleur et d'une puissance souveraines.

Maître d'oeuvre de la soirée, à la tête d'un orchestre aux sonorités flamboyantes, dirige sans partition et avec une concentration sans faille, l'une des partitions les plus complexes du répertoire lyrique. Wagner y met littéralement au défi instrumentistes et chanteurs qui, ce soir, défendaient avec plus ou moins de bonheur cette partition. On retrouvait le Heldenténor Törsten Kerl de la seconde « journée », son timbre solaire et ses qualités très sûres de musicien, si la puissance parfois lui fait défaut; mais le chanteur défaille quelque peu en compagnie des Filles du Rhin – fraiches et séduisantes quant à elle – au début du troisième acte, avant même le récit très éprouvant qu'il fait à l'assemblée des chasseurs, juste avant de mourir. A l'inverse, /Brünnhilde révèle au fil des scènes une voix longue et puissante, d'un grain superbe, affirmant toute son autorité vocale dans le dernier acte. Gutrune/ est une rivale tout à fait à la hauteur, voix ample et colorée, magnifiquement projetée, qui participe également à la réussite du trio des Nornes, en levée de rideau. La prestation d'/Gunther est plus inégale; le timbre est somptueux mais l'intonation parfois mal assurée. est une deuxième Norne enchanteresse; avec la contralto et , elle sert à merveille l'écriture inspirée et somptueuse du début du « Crépuscule »; mais elle déçoit en Waltraute, mezzo trop léger, à la peine dans le registre grave et le ton guerrier de cette « vierge insensible ». Il ne fait qu'une courte apparition au début de l'acte II, mais une forte impression par l'autorité de son timbre de baryton, noir autant que mordant: incarne magnifiquement cet Alberich ici manipulateur. Son digne fils Hagen, conçu sans amour – Alberich y avait renoncé en volant l'or aux filles du Rhin! – tient du monstre sous les traits et la voix de . Plus profonde, résonnante et cuivrée que celle de son entourage, l'impressionnante voix de basse, lâchant des « Hoiho » d'anthologie, focalise l'attention sur ce personnage central, sorte de bête humaine élevée dans la haine et programmé pour tuer, mais à qui décide d'enlever toute autonomie.

Si la mise de scène suscite toujours des réactions intempestives dans la salle, elle n'en maintient pas moins son cap (l'inévitable échec de toute tentative pour sauver le monde) et son efficacité. met Hagen dans une chaise roulante; homme manipulé dans sa tête, il n'est pas non plus maître de ses mouvements. Le verticalisme qui en ressort, celui de la lance et du corps immobilisé, n'en est que plus saisissant.

Le décor économe et toujours aussi frustre, mais bien exploité – le mouvement giratoire d'une structure métallique dans la première scène des Normes fonctionne à merveille – est savamment relayé par les lumières de Diego Leetz jouant, comme dans les ouvrages précédents, sur des effets de couleurs, de surimpression ou de transparence très réussis. La scène 4 de l'acte II, avec la participation d'un choeur d'hommes exemplaire, est d'une très grande tenue. Plus présente dans cette dernière « Journée », la vidéo accompagne les Filles du Rhin dans leurs ébats aquatiques du troisième acte et participe à l'embrasement final au sein duquel pointe un pistolet qui vient abattre un à un les dieux du Walhalla (des petites touches d'humour/dérision à la Krämer). La vidéo est aussi à la source d'une très belle émotion dans l'instant privilégié de la Marche funèbre de Siegfried, une trouvaille qui agrandit d'autant les perspectives résonnantes de cette page unique telle que la fait sonner l', galvanisé par la direction de son chef prodige.

Crédit photographique : © Opéra national de Paris/ Elisa Haberer

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