La claque commence dès les premiers accords. L'Orchestre de Paris, dirigé par Esa-Pekka Salonen, explose littéralement. La violence de l'écriture de Strauss est ce soir magnifiée, l'orchestre porté à son maximum et le volume sonore à son paroxysme. Dès les premières secondes, on sait que la soirée sera exceptionnelle.
Et elle le fut. Outre l'excellence orchestrale, le plateau réuni est enfin digne d'un festival international. Evelyn Herlitzius ne donne aucun signe de fatigue dans cet écrasant rôle. La ligne de chant ne se brise jamais, le soutien est sans faille, la puissance étonnante, le tout sans forcer. Adrianne Pieczonka offre un bon contrepoids vocal en Chrysothemis, avec une voix plus claire, plus légère mais toujours bien projetée. En abordant sa première Klytämnestra, Waltraud Meier domine le plateau avec aisance et livre une interprétation magistrale de ce rôle central d'Elektra. Les deux rôles masculins, plus courts, ne déméritent pas et sont luxueusement distribués avec Mikhail Petrenko et Tom Randle. Enfin la ribambelle de seconds rôles alternent entre vieux briscards de la scène (Donald McIntyre, 79 ans, et Franz Mazura, 89 ans !), artistes lyriques plus que confirmés (Roberta Alexander, Bonita Hyman, Renate Behle) et jeunes talents (Andrea Hill, Marie-Eve Munger, Silvia Hablowetz, Florian Hoffmann).
La mise en scène de Patrice Chéreau poursuit le succès de La Maison des morts sur la même scène en 2007. Sobriété, efficacité, théâtre, mise en valeur des relations entre les personnages… Quelques libertés sont prises, par exemple Klytämnestra, après sa confrontation avec Elektra, part en riant et en exigeant de la lumière (« Lichter ! Mehr Lichter« , parlé dans la partition de Strauss) mais se tait ici, les époux démoniaques sont assassinés sur scène, les cadavres gisant au sol jusqu'à la fin, Elektra ne meurt pas mais reste dans une extase totale et les pleurs finaux de Chrysothemis (« Orest ! Orest !« ) correspondent à une supplication vers son frère, qui part une fois le meurtre accompli, alors que le livret originel la fait appeler à l'aide en découvrant le corps inanimé de sa sœur. Tout cela n'a guère d'importance, les mythes antiques sont faits pour être revus et relus. L'arrivée impromptue d'Orest correspond à ce départ silencieux, entre autre. Les mouvements chorégraphiques de Thierry Thieû Niang ont tendance à se répéter : de La Maison des morts à El Regreso / Un Retour on retrouve systématiquement les mêmes postures. De même pour les décors de Richard Peduzzi, qui doit avoir du mur en béton brut à recycler. Mais ce ne sont que des détails qui n'entravent en rien l'extraordinaire réussite de ce spectacle. Émotion à prolonger bientôt sur Arte et en DVD.