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L’Alceste à la craie du Palais Garnier

Quelle intelligence, quelle grâce et quelle légèreté dans cette mise en scène d'Alceste par  !

Quand les spectateurs s'installent, ils découvrent cinq « dessinateurs » traçant à la craie sur une paroi coulissante, avec une rapidité et une précision effarantes, une représentation du Palais Garnier. L'exploit est déjà impressionnant, mais l'image à peine vue, presque sitôt effacée avec de grandes éponges, ils s'attellent à d'autres fonds de scène : rues en perspective, forêts, squelette à cheval, et tant d'autres, renouant sans en avoir l'air avec la tradition des toiles peintes et des changements à vue. Alceste se retrouve ainsi resituée dans le contexte de sa création.

A vrai dire, l'agitation de ces dessinateurs courant, dessinant, effaçant, montant, descendant sans cesse des praticables pourrait paraître superflue, et détourne parfois l'auditeur de la musique, mais l'exercice est  si intelligent qu'on s'y laisse facilement prendre. S'il s'était agit d'un metteur en scène moins doué, on se serait aisément contenté du reste, c'est à dire d'une direction d'acteur précise, de rares accessoires et de costumes sobres, tout en noir et blanc, et surtout d'une véritable réflexion. Car nous convie à regarder en face la mort, la vraie, sordide, seul, recroquevillé au fin fond d'un lit d'un blanc indécent. Il n'est pas question d'un voyage vers les bords de l'Achéron, mais de la perte progressive d'un être humain de sa force et de ses envies, et de la douleur irrémédiable du deuil, pour ceux qui restent. Inutile de dire qu'on ressort bouleversé de ce spectacle, d'autant plus que la fin heureuse voulue par le librettiste est ici traitée avec une sinistre équivoque.


Bien que la musique de ballet ait été supprimée (on ne s'en plaindra pas outre mesure) une chorégraphie adroite montre l'image omniprésente de Thanatos, n'attendant que son heure. Quelques gadgets chics rajoutent aussi au brillant : les protagonistes à tour de rôle écrivent à la craie (toujours) sur un tableau noir, des phrases définitives, telles que « ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face » « la musique sauve tout »… Après l'entracte, l'orchestre monte sur scène, laissant la fosse aux forces des enfers. Ce sont des coquetteries, certes, mais elles sont si bien amenées !

Pour accompagner cette merveille visuelle, il fallait un traitement musical équivalent, et c'est presque le cas. n'est jamais meilleur que quand il dirige Gluck, et les tempi, l'articulation des mouvements, la palette de couleur sont d'une justesse et d'une sensibilité inouïs. L'orchestre des musiciens du Louvre-Grenoble est en grande forme, mais ce sont surtout les chœurs qui font sensation.

Du côté de la distribution vocale, c'est , admirable d'élégance, d'éloquence et de beauté, qui tient le haut du pavé. semble quant à elle pas toujours en adéquation avec le style : diction un rien pâteuse, prises de respiration en plein milieu d'une phrase, vibrato un peu envahissant, aigus légèrement tirés, alors même que le diapason est très bas. Mais la tragédienne est bien là, bouleversante en épouse sacrifiée et mourante, et sait nous tirer les larmes.

mène à bien le rôle pas très intéressant du grand prêtre. est à son aise en Hercule prestidigitateur et plus hâbleur qu'efficace. D'ailleurs ramène-t-il vraiment Alceste des enfers, ou bien ment-il ? est un passeur de la mort (ici un médecin en blouse blanche) impressionnant, avec un timbre à la fois clair et profond.

La gourmandise de la soirée, ce sont les quatre coryphées de , et auquel s'est adjoint l'alto masculin Bertrand Dazin (non prévu dans la partition, sauf erreur de notre part) qui se partagent, outre le commentaire de l'action, tous les petits rôles : Evandre, Apollon, un héraut… Vêtus de costumes noirs et couronnés de lauriers, ils ne se déplacent qu'en bande. Futurs occupants des lieux dans des rôles de premier plan, ils montrent avec brio que l'école de chant française se porte bien, merci !

Crédit photographique : © Opéra national de Paris

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