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Werther sans Alagna

Lorsqu'on propose la reprise d'un spectacle qui a déjà enchanté le public lors d'une saison antérieure, comme cela a été le cas de ce Werther donné à Bastille en 2010, l'intérêt de ladite reprise repose évidemment sur le choix de la nouvelle distribution que l'on espère au moins égale, sinon supérieure, à la première.

Avec ce spectacle qui a fait date, toutes les garanties semblaient avoir été prises pour que le miracle d'il y a quatre ans se reproduise : un protagoniste célébrissime au profil vocal plus latin que le ténébreux Jonas Kaufmann de 2010, lequel protagoniste a déjà fait ses preuves sur d'autres scènes de son adéquation scénique et musicale avec le héros romantique tourmenté de l'opéra français ; une Charlotte moins dramatique que l'ardente ; des seconds rôles confiés à des chanteurs tout aussi aguerris que ceux qui avaient en leur temps enflammé le public et la critique…

Las, en l'absence de , retenu en Pologne par la naissance de sa petite fille, le miracle aurait bien pu se faire cauchemar. Il a fallu en effet faire avec la voix nasale et chevrotante du malheureux , promu au pied levé du rôle vocalement insignifiant de Schmidt vers l'un des emplois de ténor les plus lourds et les plus exigeants de tout le répertoire lyrique. Le public, heureusement, a eu la décence de faire bon accueil à ce valeureux artiste désormais à court d'aigus mais dont l'engagement sans faille aura néanmoins permis de faire bonne figure et de sauver la soirée du désastre.

, habituée à des rôles plus légers (Mozart, Rossini, l'opéra baroque…), a été une véritable révélation en Charlotte. Dotée de la tessiture idéale pour ce vrai rôle de mezzo-soprano qui lui va comme un gant, sa voix a pris du corps ces dernières années, et n'a aucun mal à s'imposer dans un espace comme la Bastille. Par leur élégance et leur musicalité, ses phrasés et son legato sont de loin préférables à ceux de , dont le vibrato parfois rebelle révèle un instrument un rien surdimensionné pour Charlotte.

Parmi les autres rôles, a elle aussi illuminé la soirée de sa voix fraiche et bien placée, qui n'a rien à envier à celle de la précédente titulaire . Et grâce à la chaleur et à la noblesse de ses phrasés, fait merveille lui aussi dans le rôle d'Albert, auquel il donne toute sa force et toute sa dignité. , enfin, fait valoir une voix usée jusqu'à la trame, mais parvient néanmoins à trouver ses marques dans son portrait d'un Bailli à la fois mélancolique et débonnaire.

On ne saurait redire assez la beauté intrinsèque des costumes de Christian Gasc, ainsi que celle des trois décors imaginés par Charles Edwards. La justesse et la pertinence de la mise en scène de Benoît Jacquot sont à couper le souffle, autant pour la direction d'acteurs que pour la manière dont sont mis en valeur les détails les plus infimes du livret. Acclamé avant même qu'il ne commence à diriger, a fait la preuve une fois encore des immenses talents d'orchestrateur de Massenet et de sa propre capacité à sublimer une musique qui sous d'autres baguettes peut vite devenir sirupeuse ou par trop sentimentale.
Si vous faîtes partie de ceux qui considèrent que Werther est un opéra quelque poussiéreux, courrez vite voir ce spectacle qui saura vous convaincre du contraire. Avec un protagoniste au format vocal plus adapté aux exigences de Bastille, nul doute que le bonheur aurait été pure extase.

Crédit photographique :  Vue d'ensemble (2010); © Opéra national de Paris/ Elisa Haberer

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