Une grande réussite de l'opéra de Paris, dont on espère de nombreuses reprises !
Le rideau se lève pendant l'ouverture sur un Richard Wagner – ou peut-être Hans Sachs – en pleine fièvre créatrice. Il se dirige ensuite vers un coin de la scène où il retrouve, ému, ses jouets d'enfant. Par un joli effet scénique, le secrétaire à cylindre sur lequel le musicien composait enfle et devient la cathédrale Sainte-Catherine du premier acte, dans laquelle les personnages semblent de minuscules poupées. Tout est dit en quelques minutes : identification du héros et du compositeur, retour à l'enfance… Mais est-il nécessaire de décortiquer ici tant de de références psychanalytiques, au lieu de se laisser aller au plaisir total distillé par cette merveilleuse mise en scène ?
Le maître-mot de Stefan Herheim semble être tout simplement la joie, et on ne s'ennuie pas une seconde durant ces plus de quatre heures de musique. L'idée de rendre tous les personnages lilliputiens au milieu des meubles démesurément agrandis de la maison de Hans Sachs est magistrale, et très bien servie par une direction d'acteurs au cordeau, des décors somptueux, des lumières habiles et un chœur qui joue et chante comme jamais. L'émeute de la fin du second acte constitue le clou du spectacle, montrant des personnages des contes de Grimm qui défilent sagement avant, au fur et à mesure que la folie s'installe, de copuler sans complexe.
Le bonheur est complété par une distribution de grand luxe, à commencer par un suppléant de choix, puisque Gerald Finley, souffrant, est remplacé au pied levé par Michael Volle, à qui la mise en scène ne pose aucun problème, puisqu'il était de la création à Salzbourg en 2013. On aurait certes aimé entendre ce que donnait le baryton canadien, mais l'allemand est tellement parfait, dessinant un Sachs à la fois roublard, colérique et tendre, qu'on ne regrette pas une minute. On n'attendait pas non plus le beau Bo (Skovhus) plutôt apprécié dans les rôles de charme, en Beckmesser. Il y est absolument hilarant, et vocalement parfait.
Brandon Jovanovich possède la puissance et le romantisme de Walther Von Stolzing, au côté de la charmante Eva de Julia Kleiter, qui a parfois du mal à surmonter la masse orchestrale. L'autre couple est constitué par l'épatant David de Toby Spence et la solide Magdalene de Wiebke Lehmkuhl. On mentionnera, dans les seconds rôles, le formidable Pogner de Günther Groissböck, et le beau veilleur de nuit d'Andreas Bauer.
La direction soucieuse à la fois de l'ensemble et du détail de Philippe Jordan montre l'orchestre de l'Opéra de Paris sous son meilleur jour, élégant et sûr.