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Rendez-vous manqué pour l’Eliogabalo de Cavalli à Garnier

On ne peut que se féliciter de la cohabitation de programmes baroques (et de créations contemporaines) dans une saison lyrique traditionnellement dévolue à des ouvrages classiques. Donné pour la première fois, cet Eliogabalo de (1602-1676) est porté par la direction de , la voix de et la mise en scène de Thomas Jolly.

En accumulant toutes ces « premières », Stéphane Lissner a créé une attente autour d'un ouvrage d'ordinaire réservé à un public de spécialiste, peu accoutumé aux ors de Garnier. Cette tentative de réhabilitation n'avait à ce jour comme précédent que les représentations que le Théâtre de la Monnaie avait confiées à René Jacobs il y a déjà plus de dix ans.

Le choix de Thomas Jolly est également une façon de damer le pion à la Salle Favart, qui programme le metteur en scène dans le rare Fantasio de Jacques Offenbach en février prochain (exceptionnellement au Châtelet). Découvert par son travail du Henry VI et Richard III de Shakespeare, Thomas Jolly aborde pour la première fois la mise en scène d'opéra. Les historiographes n'auront retenu du personnage que l'exubérance de détails scabreux, plus ou moins authentiques. Célèbre, tant par sa vie de luxure que par sa mort tragique, assassiné par ses gardes et jeté dans le Tibre, faute d'avoir pu être introduit de force dans les égouts de Rome. L'auteur anonyme du livret d'Eliogabalo a choisi l'option prudente de gommer des scènes forcément impossibles à représenter pour le public de l'époque. Est-ce une raison suffisante pour justifier cet interminable ballet de projecteurs en guise d'animation et de décor ? Du viol et des meurtres ne subsiste guère qu'une très discrète scénographie, aseptisant le parfum délétère d'une biographie qu'on aurait volontiers imaginée sous des couleurs pasoliniennes.

Les jeux de lumières rappellent le classicisme d'une scène rock, tandis que les improbables costumes signés Gareth Pugh peinent à convaincre de l'adéquation générale du projet avec l'ouvrage de Cavalli. Réduite à une gestuelle convenue, la chorégraphie de n'a de baroque que l'acception péjorative du terme – en témoigne l'inénarrable ballet de homards et coupes de fruits.

Assurément, quelques coupures bienveillantes auraient permis à ce spectacle de trois heures de gagner en vigueur. Avec un robinet d'eau tiède en guise de ligne musicale, la partition de Cavalli n'a guère à offrir qu'une suite ininterrompue de récitatifs, ponctués d'airs solistes souvent dispensables par le peu de chair virtuose qu'ils peuvent offrir. La de se démène pourtant en fosse, au prix de quelques approximations (cordes grises et cornet à bouquin aléatoire) … mais la passion demeure sous verre et sans réel impact.

La prestation de ne domine pas comme on pouvait s'y attendre un plateau vocal somme toute très moyen, à l'exception de la pétulante en Atilia. Le contre-ténor semble embarrassé par une écriture qui réduit la brillance et le brio au strict minimum. La Gemmira de tarde à se débarrasser d'une ligne trop pointue quand elle devient stratosphérique. La suite la trouve dans de meilleures dispositions, comme dans le lamento du second acte. campe un Alessandro haut en couleurs mais un rien débraillé dans les changements de registres. peine à donner un relief au rôle difficile d'Eritea, tandis que le pâle Guliano de ne fait guère illusion ; on lui préfère la volubile Lenia d' ou le fier Zotico de .
Une soirée en demi-teintes.

Crédits photographiques : © Agathe Poupeney / Opéra de Paris

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