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La Dalila d’Anita Rachvelishvili triomphe à Bastille

double la mise à Bastille : Après un Barbier de Séville (2014) à l'humour bon enfant, son choix se porte aujourd'hui sur Samson et Dalila, immense blockbuster et ultime avatar du Grand opéra.

Sa vision de l'épisode biblique est transposée dans l'univers assez chic et aseptisé d'un décor entre hall d'aéroport et chambre témoin d'une grande enseigne de design. La distinction sociale entre philistins et israélites se double d'une approche dichotomique assez clairement soulignée par les costumes de Carla Teti et le jeu d'acteur très expressionniste.

D'un côté donc, les opprimés en haillons, de l'autre les oppresseurs en tenues colorées, à l'exception des noirs sbires qui sous les ordres d'Abimélech exécutent les basses œuvres et font régner la terreur. Le très sadique jeu de roulette russe sert d'appât visuel à une traduction de la cruauté que n'aurait pas renié Calixto Bieito. La protection divine s'exprime lorsque les canons s'enrayent, ce qui provoque la frayeur des gardes et donne à Samson l'occasion de montrer sa force légendaire. Usant et abusant des deux niveaux de la scène fixe, utilise ce moment pour montrer Dalila ouvrant lentement l'immense rideau qui fermait sa chambre située au-dessus de la foule des israélites.

Vêtu en complet cravate d'un noir fascisant, le Grand-prêtre fomente avec Dalila le piège d'une séduction qui se refermera sur Samson. Ce très sage Regietheater s'accommode volontiers du geste évocateur et prémonitoire d'une orange pelée qui trouvera un écho au moment où le héros dévoilera l'origine capillaire de sa force… La suite déborde d'un goût assez douteux qui montre notamment une bacchanale largement empruntée à Fellini, avec le Grand Prêtre grimé en empereur romain et des corps lascifs barbouillés d'or, de fards et de billets de banque. Se lamentant sous des murs de prison façon grille métallique, Samson obtiendra sa vengeance dans la scène spectaculaire dans laquelle le Tout-Puissant se décide (enfin) à intervenir en détruisant le palais. Un éblouissement de projecteurs figure ces murailles qui explosent littéralement, tirant quelques spectateurs de leur torpeur.

Cet art du cinémascope musical nécessite des voix hors norme, capables de rendre à la perfection l'ambitus des sentiments de chaque protagoniste. Cette production est dominée par la présence éminemment souveraine de la Dalila d'. Celle qu'on avait découvert l'an dernier en Amnéris, triomphe en toute logique sur cette même scène. On reste admiratif devant cette façon de murmurer Mon cœur s'ouvre à ta voix, avec un art de la ligne infinie absolument remarquable. Elle offre à son personnage des couleurs et des demi-teintes d'un naturel confondant, sans jamais faiblir dans les aigus ou dans la projection. Le contraste avec le Samson d' joue en défaveur du ténor letton. L'émission est régulière mais trop contrôlée, décevante même quand les aigus se bloquent sans cesse dans le masque et que la ligne se raidit. La voix garde toutefois la puissance qu'on y entendait déjà l'an dernier dans Radamès mais un brin d'abandon permettrait sans doute de laisser s'épancher l'émotion. Le Grand Prêtre d' offre une palette vocale de premier plan, très légèrement contrariée par une diction perfectible, tandis que l'éclatant vieillard hébreu de l'emporte haut la main sur l'Abimelech atone de . Les chœurs se couvrent de gloire dans une partition qui les sollicite et les expose a de multiples reprises

donne à Saint-Saëns un volume généreux qui le fait regarder à plusieurs reprises par-dessus l'épaule d'un certain Wagner. Lâchant les chevaux dans la bacchanale, il réveille des cuivres tenus en bride dans les deux premiers actes et donne au final des allures de grand panorama en technicolor.

Crédits photographiques : Vincent Pontet / Opéra national de Paris

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