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Baden-Baden : La Clemenza di Tito en concert mais pas sans théâtre

Toujours en version de concert et toujours avec un enregistrement discographique à suivre chez Deutsche Grammophon, le Festival d'été de Baden-Baden continue d'explorer les grands opéras de Mozart avec une Clémence de Titus d'un particulier dramatisme grâce à la direction acérée et pleine de vie de et à l'intense Sesto de .

Commencée en 2012 avec Don Giovanni puis poursuivie par Cosi fan Tutte en 2013, L'Enlèvement au Sérail en 2014 et Les Noces de Figaro en 2015, après une pause en 2016 la série des opéras de Mozart dirigée par à la tête du se poursuit en 2017 avec la moins fréquentée (et peut-être moins vendeuse) Clémence de Titus. Comme nous l'avions déjà constaté pour Don Giovanni, version de concert ne signifie pas statisme et absence de théâtralité et cette soirée au Festspielhaus de Baden-Baden le confirme à nouveau.

Ce serait en effet méconnaître les immenses qualités de chef d'opéra de . Le Metropolitan Opera de New York ne s'y est pas trompé en le nommant son directeur musical à la suite de James Levine. Débordant d'énergie, attentif à chaque pupitre, soutien constant à ses chanteurs qu'il n'hésite pas à accompagner de sa mimique, il assurerait à lui seul la vie et la véracité qui se dégagent du concert. Dans une conception parfaitement classique mais nullement marmoréenne, il soigne le dramatisme par des tempos contrastés, prenant son temps pour détailler les subtiles beautés de l'orchestration mozartienne ou accélérant pour souligner un moment d'intense passion. La battue est peu marquée et pourtant la cohésion et la mise en place sont impeccables. Comme les intentions du chef sont suivies à la perfection par un superbe aux basses grondantes et par un RIAS Kammerchor d'une magistrale plénitude (quelle apothéose apollinienne du chœur introductif au final !), c'est une Clémence de Titus orchestralement somptueuse qui nous est ainsi offerte. Seuls les récitatifs, au piano-forte un peu trop sage, auraient mérités un accompagnement plus dynamique et de plus de fantaisie.

Du côté de la distribution, les satisfactions sont plus contrastées. Initialement annoncée en Vitellia, Sonya Yoncheva a dû céder sa place à pour raisons de santé. Dotée d'un fort tempérament, d'une puissance vocale impressionnante et d'aigus acérés, la soprano lettone ne dépare nullement dans ce rôle difficile. Durant la majeure partie de la soirée, elle incarne avec véhémence, avec une tendance parfois à surinterpréter, la parfaite garce qu'est Vitellia, jouant de l'amour que lui porte Sesto pour assouvir sa vengeance et sa soif de pouvoir. L'intériorité de « Non più di fiori » lui convient moins, l'obligeant à forcer sa voix pour atteindre les graves assassins dont Mozart a parsemé son rondo. En Sesto, emporte à nouveau tous les suffrages tant par la vérité de l'incarnation que par la musicalité de l'interprétation. On pourra toujours ergoter sur quelques rares aigus un peu tubés ou quelques graves un peu grasseyants, il n'empêche que son Sesto est d'une crédibilité dramatique, d'un engagement et d'une intégrité vocale superlatifs avec ses attitudes d'adolescent attardé et sa voix qui suit impeccablement la moindre intention expressive. Comme avec tous les autres interprètes, les récitatifs sont vivants, vécus de l'intérieur, interactifs avec les partenaires, ce qui contribue là aussi au dramatisme. Les deux morceaux de bravoure « Parto, parto, ma tu ben mio » à l'acte I et « Deh per questo instante solo » au II en constituent bien évidemment l'acmé et sont accueillis par une ovation du public.

On connaît les problèmes et la détérioration vocales dont pâtit, depuis quelque temps déjà, . Dans ses conditions et bien qu'il soit dès l'origine l'élément central de ce projet Mozart, il était pour le moins hasardeux de lui confier le rôle de Titus, bien plus exposé que Basilio dans Le Nozze di Figaro, sa précédente interprétation du cycle. Le public de Baden-Baden a toujours été bienveillant à son égard et l'engagement est comme toujours total mais la voix ne suit plus et l'effort est constant. Les récitatifs très fougueux font un temps illusion mais, dès « Ah, se fosse intorno al trono » et surtout pour « Se all'impero », les difficultés deviennent patentes : aigus en force et instables ou seulement effleurés, vocalises survolées, diction pâteuse et nasale, déficit de nuances et d'autorité. Hélas, il a beau avoir tout donné — comme son enthousiasme exubérant d'être arrivé au bout du rôle semble le confirmer aux saluts — et bénéficier du soutien attentif et des encouragements de Yannick Nézet-Séguin, cela ne suffit plus. Pour La Flûte enchantée de l'an prochain, Baden-Baden l'annonce en… Papageno.

Parmi les autres protagonistes, la Servilia de retient particulièrement l'attention par son charme et sa ductilité vocales ainsi que par la lumineuse limpidité de ses aigus. incarne parfaitement toute la détresse d'Annio, auquel elle apporte une belle ferveur, tandis que parvient à se faire remarquer avec son Publio très soigné et d'une notable présence scénique et autorité vocale.

Crédit photographique : © Andrea Kremper

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