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Hommage de Deutsche Grammophon à Seiji Ozawa

Alors que les intégrales d'enregistrements d'artistes sortent comme les champignons après la pluie, c'est au tour du chef d'orchestre d'être honoré par la publication d'un volumineux coffret Deustche Grammophon.

Cette brique offre copieusement une cinquantaine de disques, et comporte au total plus de 48 heures de musique, dont la plupart ont été gravés dans les années 1972-1992. Force est de constater que la manière de diriger d'Ozawa n'a pas pris une ride, tout autant qu'elle n'a pas trop évolué durant cette période. Nous avons affaire à un artiste aussi énergique que sensible aux couleurs et à la plasticité et la pureté du relief de la pâte orchestrale. Malgré une précision rythmique exemplaire, ses prestations révèlent toutefois un certain manque de cohérence dramatique, qui peut résulter de montages faits pendant les sessions d'enregistrement et de l'approche « analytique » du maestro. Ozawa rejette toute mièvrerie, ne se laisse pas tenter par des jeux d'affects que nombre de compositions sont susceptibles de procurer et refuse de couvrir ses interprétations d'une patine romantique. La distance émotionnelle qu'il maintient se fait au détriment de chaleur et donne, par instants, une impression de sécheresse.

Avec ce coffret, on retrouve des captations que a effectuées avec divers orchestres, parmi lesquels nous avons une légère préférence pour celui de Boston, dont le timbre voluptueux et velouté des cordes émerveille par la douceur et la rondeur, tandis que celui des cuivres transperce par la limpidité et une froideur glaciale. Écoutez seulement l'exécution « antiromantique » de la Danse macabre de avec en soliste, un excellent exemple du style du chef qui, ayant trouvé une langue commune avec le pianiste polonais, propose une vision agitée et ténébreuse, voire crépusculaire de cette partition, qui ne laisse pas indifférent.

En ce qui concerne les solistes, énumérons les noms tels que (le Concerto pour piano n° 5 de Beethoven), (le Concert champêtre de Poulenc), Gidon Kremer (le Concerto pour violon n° 2 de Chostakovitch et le Concerto pour violoncelle de Schumann arrangé pour violon par celui-ci et orchestré par Chostakovitch), Itzhak Perlman (le Concerto à la mémoire d'un ange de Berg et le Concerto pour violon de Stravinsky), (le Concerto pour violon n° 2 de Bartók et En rêve de Norbert Moret) et (le Chant du ménestrel de Glazounov et le Concerto pour violoncelle n° 2 de Chostakovitch). Pour les chanteurs, retenons ceux de , , Edita Gruberova et . N'oublions pas non plus d'évoquer celui de Yundi Li, le vainqueur du Concours Chopin en 2000, qui se voit accompagné par Ozawa dans le Concerto pour piano n° 2 de Prokofiev et le Concerto en sol majeur de Ravel, et dont l'interprétation combine la virtuosité et la suavité, et, pour cette première composition, est traversée d'une sorte de mystère.

Pour ce qui est des œuvres symphoniques, retenons d'abord l'exécution de la Symphonie fantastique de Berlioz, enregistrée en 1973 avec le Boston Symphony Orchestra, où la légèreté côtoie l'élégance, mais pas la gravité, le pathos et le drame. Du point de vue de la clarté des teintes, ceci est cependant l'une des plus séduisantes lectures de cette partition. Idem pour la Symphonie en ré mineur de Franck dont la présentation, effectuée en compagnie de la même phalange bostonienne, nous donne le frisson, tellement elle est vibrante de véhémence et frémissante d'effroi. Pareillement aussi pour la Symphonie n° 4 de Tchaïkovski qui, sous la direction impétueuse d'Ozawa à la tête, cette fois-ci, de l', fait penser à une histoire d'amour et de douleur ; captivante, néanmoins racontée en épisodes, à savoir sans souci de continuité du fil narratif. Ensuite, dans cette somme dont la qualité d'interprétation est variable, ne ratons pas l'intégrale des symphonies de Prokofiev, pour lesquelles Ozawa et la phalange berlinoise impressionnent par des contrastes de timbres et de dynamique, sans toutefois se hisser au sommet de la discographie dominée principalement par les chefs originaires de Russie. De pareils contrastes, s'appliquant également au choix des tempi, sont audibles dans l'exécution de la Symphonie n° 1 de Mahler, raffinée, tout autant que resplendissante de couleurs et de vitalité.

Outre les pages purement symphoniques, ce coffret renferme une belle sélection de la musique de ballet, soit des enregistrements complets du Lac des cygnes et du Casse-Noisette de Tchaïkovski, ainsi que du Tricorne de , de Roméo et Juliette de Prokofiev et de Daphnis et Chloé de Ravel, dirigés en général avec brio, distinction et des textures cristallines. Nous sommes éblouis surtout par la luminosité des cordes du Boston Symphony Orchestra dans Le Tricorne, où des teintes chatoyantes et scintillantes contrastent à la maturité d'une voix de velours de . Dans cette optique, on appréciera également la lecture des extraits de la Gaîté Parisienne de Jacques Offenbach, essentiellement en raison de cette sonorité envoûtante et dérivée de la finesse et de la netteté de l'articulation de l'ensemble bostonien. En outre, de ce compositeur, on se délectera de quelques beaux moments de l'interprétation des Contes d'Hoffmann, donnée en compagnie de l'Orchestre national de France et du , aussi douce et gracile qu'habile et aérée, et rendue plus séduisante encore par la présence, au plateau des solistes, de Plácido Domingo et d'Edita Gruberova. La direction d'Ozawa est droite et relativement modérée, bien qu'elle ne permette pas de savourer toute la richesse « imaginative » de cette partition, comme c'était par exemple le cas – pour l'air Il était une fois à la cour d'Eisenach –, de la gravure proposée par Rolando Villazón et Michel Plasson. Aux antipodes de cette exécution, se trouve celle de Jeanne d'Arc au bûcher d', qui – assurée, entre autres, par l'Orchestre national de France, le et la Maîtrise de Radio France –, nous fait découvrir une face différente de l'approche d'Ozawa dans le domaine du répertoire lyrique, celle d'un chef favorisant l'expressivité du geste et la mise en valeur du sens de la parole.

Pour le contemporain, ne passons pas sous silence le petit nombre de pages ayant fait l'objet de son intérêt, de William Russo, , Norbert Moret et . De son compatriote japonais, Ozawa aborde deux œuvres : Quatrain et A Flock Descends into the Pentagonal Garden, relevant d'une grammaire qui allie l'esthétique occidentale et orientale, tel un pont entre les deux civilisations et deux cultures dissemblables. Ozawa, ayant remporté des succès en Amérique et en Europe, est donc particulièrement prédestiné à diriger cette musique. Curieusement, l'interprétation (donnée avec le ) des Danses symphoniques de West Side Story de Bernstein, artiste ayant largement soutenu Ozawa au début de la carrière de celui-ci, est poétique, mais par moments tapageuse et manquant de relief, élan et fougue.

Du côté éditorial, notons que les pochettes reprennent la jaquette de l'édition originale. Sachant que Deutsche Grammophon a publié, en janvier dernier, l'enregistrement du concert qui avait eu lieu à l'occasion du 120ème anniversaire de la création du label, pour lequel Ozawa est à la tête de l'Orchestre international Saito Kinen, et que cette captation est absente de cette parution, ce n'est pas l'« intégrale » de ses gravures pour l'étiquette jaune.

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