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Les années Oslo de Mariss Jansons

Warner Classics publie un coffret regroupant l'intégrale des enregistrements EMI et Virgin Classics de avec l'Orchestre philharmonique d'Oslo dont il a été directeur musical entre 1979 et 2000.

Décédé le 1er décembre 2019, a laissé un legs discographique important. C'est précisément dans la capitale de la Norvège qu'il s'est forgé la réputation de l'un des meilleurs bâtisseurs d'orchestre de sa génération. Dans la perspective des dernières décennies, et notamment des gravures réalisées par Jansons avec l'Orchestre royal du Concertgebouw d'Amsterdam (Neuvième de Bruckner, Clef ResMusica) et l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, celles d'Oslo sont comme un retour aux sources. Le style Jansons connu des récentes parutions BR-Klassik (Chtchedrine et Respighi, son ultime concert), caractérise-t-il également les prestations données sous la baguette du même artiste, mais plus jeune d'un quart de siècle ?

Ce coffret regroupe aussi bien les pierres angulaires du répertoire symphonique que des pages moins établies. Parmi ces premières, signalons une Neuvième de Dvořák (un enregistrement de 1988) à la fois fluide, tendue et énergique, dont la lecture met en relief divers plans sonores, comme si le chef radiographait la partition. Notons cependant que dans le registre bas médium et médium, les cordes ne possèdent pas l'éclat satiné ni la consistance des cuivres. Cette symphonie est couplée avec La Moldau de Smetana, chatoyante et d'une élégance tantôt contemplative, tantôt réjouissante.

L'interprétation des extraits d'opéras de Wagner (1991) est d'une clarté de lignes remarquable. Le Prélude du 1er acte de Tristan et Isolde se teinte d'une poésie sombre et douloureuse, La Marche funèbre de Siegfried du Crépuscule des dieux est sévère et contrôlée, révélant un large éventail de nuances intermédiaires entre le piano et le forte. Dans la Chevauchée des Walkyries, Jansons vise le spectaculaire et tire le maximum de limpidité des textures, mais ne cherche pas de profondeur dramatique à l'instar d'un Toscanini ou d'un Furtwängler.

La Symphonie n° 2 de Sibelius (version de studio, de 1992) se montre flamboyante et épanouie, habitée par de grandes masses sonores, quoique pas vraiment passionnée. La Valse triste du même auteur, s'imprègne à son tour de mélancolie. La mélodie – pleine d'humilité – est d'abord portée avec réserve, puis le mouvement s'accélère avant de s'enflammer dans le climax.

Concernant le répertoire russe, dont fut l'héritier en vertu de sa formation en URSS, citons les Tableaux d'une exposition de Moussorgski (1988), dirigés d'une façon lugubre et ténébreuse, presque d'épouvante. L'ampleur du phrasé et une certaine lenteur soulignent l'angoisse et renforcent le caractère descriptif de ces pièces. Pour Tchaïkovski, l'Ouverture solennelle « 1812 », enregistrée en 1987, combine douceur (la paisibilité des violoncelles lors de leur première intervention), pathos et brio, tandis que la fantaisie Roméo et Juliette frappe par le lyrisme et la désolation. Ce dernier élément nous rapproche de la tragédie de William Shakespeare. Par ailleurs, dans les Suites n° 1 et n° 2 d'une autre œuvre portant ce même titre de Roméo et Juliette, élaborées cette fois par Prokofiev (gravure de 1988), Jansons séduit par la légèreté et la noblesse du geste (Juliette enfant), en accord avec les intentions du compositeur qui écrivit cette musique pour danser. Ces particularités concernent également l'exécution des Symphonies n° 6 et n° 9 de Chostakovitch (1991), où Jansons mène son orchestre avec fraîcheur et une régularité d'horloge, d'une manière un brin mécanique, mais qui n'empêche pas que se mêlent mystère et grandeur. De Stravinsky, Le Sacre du printemps (1992) s'anime d'une variété d'ambiances qui force l'admiration. L'ivresse des rythmes rappelle le côté « improvisé » et la nature « sauvage » de ces plages. Les cuivres nous plongent dans l'obscurité (Jeu du rapt), alors que la petite harmonie évoque des atmosphères pastorales (le début des Rondes printanières). Si cette prestation se pare de nombreuses couleurs, on aurait toutefois aimé y percevoir plus de spontanéité et de feu.

Pour ce qui est du répertoire moins souvent joué, listons les Symphonies n° 2 et n° 3 ainsi que Pacific 231 de Honegger (1993), l'un des membres du Groupe des Six. Mariss Jansons inculque à ces œuvres un souffle tantôt intimiste, tantôt vigoureux et rayonnant. D'une part, il les marque du sceau du pessimisme et de la désillusion (Adagio mesto de la Symphonie n° 2) ; d'autre part, il retient toute leur splendeur et leur expressivité éclatante, tant rugueuse et froide que sensuelle (Dies irae. Allegro marcato de la Troisième symphonie). Au pôle opposé se situent les Symphonies n° 1 et n° 2 du Norvégien (1987), pleines de lumière, d'allégresse et de sérénité, curieusement méditerranéennes par leur chaleur – à peine empreintes d'un soupçon d'anxiété (Andante de la Première symphonie) –, où le chef letton nous sourit à travers les rythmes colorés et l'énergie de son geste, sans perdre jamais ni le raffinement ni le soin du détail.

Un autre disque qui retient notre attention (le dernier CD du coffret, n° 21, enregistré en 1992 et 1997), intitulé World Encores, est dévolu à de courtes pièces de caractère, tout autant qu'à des ouvertures (celle de Candide de Bernstein), des intermezzos (de la suite Háry János de Kodály ou de Cavalleria rusticana de Mascagni), des danses (Danse slave op. 72 n° 7 de Dvořák) et des extraits de ballet (Pas de deux de Casse-Noisette de Tchaïkovski ou Danse des créatures célestes de Yugen de Toyama). Avec un tel panorama, Mariss Jansons possède tous les moyens d'explorer et de mettre en évidence le potentiel de la phalange d'Oslo en termes de capacités techniques, de diversité des couleurs (audible notamment dans la Dance des hommes de Yugen de Toyama) et d'étendue dynamique. Dans les miniatures virtuoses, il subjugue par la souplesse agogique, la précision des attaques, la ductilité et la finesse des articulations (Hora Staccato de Dinicu dans l'arrangement de Heifetz et l'orchestration d'Adolf Schmid –, et ce, tant pour les cordes que pour les vents), pendant que dans les pages soumises à un tempo lent, il impressionne par un subtil sens narratif (Au matin de Grieg et la Valse triste op. 44 n° 1 de Sibelius).

Ce coffret renferme également deux disques où Mariss Jansons accompagne des solistes. Pour le premier, gravé en 1992 pour Virgin Classics, nous sommes séduits par le jeu ardent et viril de dans le Concerto pour violoncelle op. 104 de Dvořák et dans les Variations sur un thème rococo de Tchaïkovski. Sous la houlette de Jansons, l'Orchestre philharmonique d'Oslo déploie tous les ressorts de la dramaturgie contenue dans ces partitions, tout comme il offre des moments de grâce et des élans de tendresse. Pour le second CD, enregistré en 1994, nous écoutons dans le Concerto pour violon n° 3 de Saint-Saëns et à l'orgue de l'abbatiale Saint-Ouen de Rouen dans la Symphonie n° 3 du même compositeur. Zimmermann captive par son archet solaire, qui se détache sur le fond dominé par les tons foncés de l'accompagnement. Ensuite, dans la symphonie, Marshall distille des sonorités qui surgissent comme d'un rêve, bourdonnantes mais à la fois oniriques et fluctuantes, au timbre dense, équilibré et bien défini. Si la direction de Jansons ne manque ni de gracilité, ni de tension, en revanche la force de l'émotion et de la beauté de ces musiques est un peu atténuée par l'objectivité dont il se pare. Bien que plus saisissant que dans une interprétation plus récente de cette œuvre (BR-Klassik), le chef letton ne convainc donc pas totalement dans cette oeuvre, contrairement à Paul Paray, magnifique d'élasticité, d'humanité et de naturel, et qui s'entoure de Pierre Cochereau.

L'album est complété par cinq DVD réunissant des enregistrements de concerts publics, provenant de dix émissions télévisées, inédits chez Warner Classics, ainsi qu'un entretien de Mariss Jansons en allemand et ses déclarations à propos de la musique de Mahler et Beethoven en anglais. Dans la Symphonie en ré mineur de César Franck (1986), dont la prise de son n'est pas à la hauteur des gravures de studio de ce coffret, Jansons accuse des contrastes de tempo et de dynamique qui tombent assez justes et ne brisent pas la ligne ni l'arche architecturale de cette composition, encore que certains phrasés soient relativement longs. Plutôt frénétique et marmoréen dans les climax, il dirige avec panache et puissance, et réussit à entretenir le climat d'inquiétude du début à la fin de cette prestation, même dans les thèmes lyriques. Cependant, dans la Symphonie n° 3 de Beethoven (1997), il se distingue par son niveau de finition élevé, mais déçoit par sa « sagesse » sur le plan dramatique, n'atteignant pas la luminosité de sa lecture postérieure de Tokyo (Arthaus Musik, 2012). Si, par ailleurs, dans la Symphonie n° 7 de Beethoven (2000), chaque geste semble très travaillé, la conception de Jansons souffre de défaut dans l'intensité et le brio (hormis le finale). Il mène sa phalange avec assurance, toutefois sans enthousiasme.

Reprenant les pochettes originales des disques EMI et Virgin Classics et offrant une dizaine de concerts publics filmés jusqu'alors inédits en DVD, ce coffret est recommandable particulièrement aux fans de Mariss Jansons.

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