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A Liège et bientôt à Paris, réhabilitation de Hulda de César Franck

L'Orchestre philharmonique royal de Liège et son chef frappent un grand coup dans le cadre du bicentenaire de la naissance de , avec la réhabilitation et les créations belge et bientôt parisienne de Hulda, seul opéra de maturité achevé du maître et assez inexplicablement voué aux oubliettes de l'histoire musicale jusqu'il y a peu.

Les forces mosanes peuvent compter sur le concours d'une quinzaine de solistes du chant, tous excellents, et triés sur le volet, du , considérablement renforcé pour l'occasion, et sur le soutien du , qui enregistre parallèlement à cette série de concerts l'œuvre pour le disque dans cette distribution.

Hulda (1879-1885) ouvre la dernière phase créatrice de . L'argument de ce drame en quatre actes et un épilogue est inspiré d'une légende norvégienne, relatée par l'écrivain Bjørnstjerne Bjørnson, traduite et versifiée en un français assez pompeux et prosaïque par Charles Grandmougin. L'essentiel est sauf : malgré la profusion des personnages secondaires, la trame de l'action demeure limpide et inéluctable, par cette rivalité guerrière puis amoureuse entre deux tribus légendaires nordiques. Ce livret, malgré son ton compassé, comporte suffisamment d'action dramatique et de retournements de situations shakespeariennes (trois meurtres et un suicide !) pour susciter l'imagination d'un grand compositeur. La partition de – d'une durée de près de trois heures – recèle de rares beautés. Le résultat est à la hauteur de l'enjeu.

A tout seigneur tout honneur, chevilles ouvrières de l'entreprise, la phalange mosane et son directeur musical sont exemplaires d'implication musicale de justesse stylistique, alliant exacerbation dramatique et délicatesse dans la réalisation des détails – dans un domaine d'expression musicale, – l'opéra– assez inhabituel pour cet orchestre.

La distribution vocale est elle aussi à la hauteur de l'évènement. Dans le rôle titre, la soprano dramatique américaine assume totalement le rôle-titre écrasant – vu sa présence quasi permanente, telle l'Ariane confrontée à Barbe-Bleue dans l'opéra de Dukas : idéalement distribuée, malgré une articulation du français parfois un rien erratique, elle a exactement le timbre, l'ambitus et la puissance vocale, avec ce vibrato expressif si chaleureux, qu'exige le rôle, à l'instar des incarnations germaniques que l'artiste a à son vaste répertoire (Sieglinde, Chrysotémis, Salomé…). Plus qu'à Maria Callas, évoquée par dans le dossier de présentation du concert, nous songeons, par sa puissance et son expressivité vocale à une Leonie Rysanek qui se serait soudainement passionnée pour l'opéra hexagonal ! L'exploit – car c'en est un – est d'autant plus remarquable quand on sait que l'artiste assumait parallèlement à l'opéra de Hambourg sa prise de rôle en Elisabeth (Tannhäuser), avec d'incessantes allées et venues pour les répétitions entre la ville hanséatique et la Cité ardente.

Sa « rivale » scénique, la soprano néerlandaise n'est pas en reste en Swanhilde. Avec son timbre un rien plus sombre donc idéalement contrasté, elle offre une cinglante réplique, très étonnante par sa totale adéquation stylistique et par cette leçon de chant post-romantique français, alors que le nom de cette brillante artiste est plus habituellement associé au répertoire baroque et classique.

Le ténor lituanien campe un vaillant Eiolf, avec un timbre chaud et lustral, une diction française parfaite de clarté et une ductile malléabilité psychologique dans la parfaite ligne de son personnage, au cœur partagé entre deux femmes, et entre sentiment patriotique et inclination sentimentale naturelle.

Par son intrigue même, l'opéra franckiste démultiplie les rôles secondaires, et par le truchement de l'action certains personnages disparaissent ou apparaissent au fil des actes. La distribution s'avère délicate à mener par son aspect pléthorique ; c'est justement là la grande force de cette entreprise qui allie caractérisation timbrique idoine et excellence dans ses choix.

Ainsi , aux graves de plus en plus ensorcelants au gré de ses entreprises récentes et successives incarne une Gudrun à la fois maléfique et craintive, alors que la mezzo soprano est impeccable de justesse de ton et d'expression dans le très bref rôle de la mère (anonyme !) d'Hulda. , baryton à la voix robuste et claire à la fois, incarne un Gudleik perfide d'arrivisme et gourmé dans son paternalisme, jusqu'à son tragique décès en duel. Le baryton , d'un timbre majestueux incarne un Aslak courroucé, avide de vengeance mais aussi terrassé par le Destin. Tous les autres solistes méritent une mention, aussi éphémères ou accessoires soient leurs apparitions par leur implication totale et pour la leçon de chant français qu'ils donnent.

Enfin, il convient de fêter comme il se doit la prestation subjuguante de qualité et d'engagement d'un omniprésent, particulièrement renforcé et en grande forme vocale. L'effectif, sur base de la sélection d'individualités plus proches vocalement de l'idéal romantique, s'en avère très différent, par exemple, de la distribution présentée lors du Zoroastre tourquennois récemment fêté en ces colonnes. Avec leur chef-préparateur , ils reçoivent pour cette prestation aussi musicalement contrastée que marathonienne une ovation mille fois méritée.

Mais c'est toute cette production qui est à marquer d'une pierre blanche, révélant un pan de production quasi inconnu d'un compositeur majeur dans le monde musical parisien et européen de la fin du XIXᵉ siècle, dans les conditions d'interprétation idéales du bel aujourd'hui. Après Liège et Namur (avec, ici, en marge, un enregistrement studio au Concert Hall du Grand Manège), le public parisien pourra goûter les sortilèges de cette résurrection opératique franckiste au Théâtre des Champs-Elysées le premier juin prochain.

Crédits photographiques © Anthony Dehez

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