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Le mini-festival « Ouvertures » lance la saison de l’Atelier Lyrique de Tourcoing

L'Atelier Lyrique de Tourcoing a lancé sa saison avec son festival « Ouvertures » étalé sur trois soirées, fenêtre grande ouverte sur cinq siècles de répertoire vocal ou instrumental, profane, opératique ou sacré. Nous avons assisté aux concerts inauguraux.

, promesses tenues !

Déjà apprécié à Tourcoing pour ses incarnations en Georges Brown (la Dame Blanche de Boieldieu), Kornelis (la Princesse jaune de Saint-Saëns) ou Haroun (Djamileh de Bizet), le trentenaire , malgache, révélation Adami 2019, s'impose aujourd'hui comme un des artistes les plus sûrs de sa génération et un talent à suivre, au sein du renouveau vocal français. Il s'affirme, en cette fin d'après-midi, comme le ténor à peu près idéal dans le répertoire hexagonal, romantique ou fin-de-siècle, tous genres (mélodie, opérette et opéra) confondus !

Il ne nous est malheureusement pas possible d'entendre sa vision de quelques extraits des Illuminations rimbaldiennes mises en musique par Benjamin Britten – qu'il redonnera dans un arrangement chambriste en intégralité avec la compagnie Miroir Etendus à Lille en mai prochain. Les quatre mélodies du cycle La Nuit persane de , d'un enivrant orientalisme, le montrent au sommet de ses moyens : diction et justesse quasi parfaites, projection sonore idéale y compris dans le registre aigu, passage aisé de voix de poitrine en voix de tête superbement « couverte », sens inné du legato et intelligence du mot sont au rendez-vous.

Il unit sous le titre générique du « vagabond de l'amour » en seconde partie de récital quelques airs célèbres ou d'autres beaucoup moins courus du répertoire scénique datant de la fin de l'ère romantique. Il sauve ce qui peut l'être de l'adaptation française plutôt maladroite de l'air de Camille dans la Veuve joyeuse de , se joue avec humour de la grâce un rien surannée de la romance confiée à Gontran dans les Mousquetaires au Couvent signée , révèle avec passion la préciosité des couplets de François (extrait du bien oublié Temps d'aimer de Reynaldo Hahn). Mais c'est incontestablement dans le répertoire du grand opéra qu'il se montre au faîte de ses moyens, avec le célèbre « Fantaisie aux divins mensonges » extrait de Lakmé de , qu'il magnifie héroïquement à la fois d'une ligne de chant splendide et d'aigus mordorés sans jamais tomber dans la mièvrerie. Plus encore, la plus rare mais redoutable sérénade de Smith, tirée de La jolie fille de Perth de Georges Bizet offre une synthèse de ses sensationnels moyens vocaux menés par une rare intelligence musicale.

La pianiste offre en intermède une version assez peu habitée et trop raide de l'Alborada del Graciso de et au fil du récital proposé offre une réplique juste correcte, mais parfois assez pauvre de contrastes, de nuances et de couleurs à son partenaire.

En bis les deux artistes nous proposent de quitter la scène sur la pointe des pieds en retrouvant pour sa suave et tardive romance l'Étoile, sur un texte du prince Haïdar Pacha, chantée ici avec un sens consommé du sublime et de l'irréel !


Aedes et Les Siècles réunis pour un rigoureux mais fervent parcours spirituel

L' de et Les Siècles, l'orchestre « historiquement informé» fondé par François-Xavier Roth, collaborent intimement depuis plusieurs saisons pour interpréter les grandes partitions du répertoire choral symphonique tels les Requiem de Brahms et de Fauré.

Le programme de ce soir, donné sans entracte, propose en sa première partie un patchwork musical variant à l'envi tant l'effectif que le dispositif scénique, en guise de cheminement spirituel axé sur la Foi ; à deux partitions profanes chorales a capella sises entre espoir (O doulx regard de Clément Janequin) et désolation (Sparge la morte du quatrième livre de madrigaux de Gesualdo) répondent la quête (extrait de l'Ange scellé de Rodion Schchedrin), la confirmation (The deer's cry d'Arvo Pärt), la ferveur (d', un bref extrait des Poèmes pour Mi, suivi de la Majesté du Christ demandant la gloire à son Père, le vaste prélude du juvénile cycle orchestral l'Ascension), enfin sous un regard d'avantage agnostique les prières (quatrième Incantation pour flûte seule d'André Jolivet) ou les interrogations (The unanswered question de Charles Ives) face aux mystères de l'Univers. Pour couronner le tout, le vaste Stabat Mater de Francis Poulenc réaffirme dans cette optique par le truchement d'une Piéta doloriste, l'Espérance, par les voies de la Révélation christique victorieuse in fine de la Mort infamante sur la Croix.

Aedes, en « grande formation » ce soir réunit 35 chanteurs aguerris à ces répertoires souvent exigeants : un effectif bien nécessaire mais suffisant pour rendre justice, entre autres, à la puissance de l'œuvre de Poulenc. On ne peut que louer la beauté des timbres, l'homogénéité des pupitres et une justesse d'intonation quasi parfaite. Il est certes surprenant d'entendre, a contrario de ce qui se fait actuellement, une chanson de Janequin chantée – comme jadis – par un grand chœur ou un madrigal de Gesualdo (toujours très périlleux, mais pleinement assumé), il est vrai confié à un effectif plus chambriste.

Par ailleurs, joue de l'architecture et de la géométrie du lieu, plaçant au jubé les bois pour la pièce d'Ives ou la seule et superbe flûte de , idéale interprète de la quatrième Incantation d'André Jolivet et unique mais splendide soutien instrumental du premier chœur de l'Ange scellé de Rodion Schchedrin – évoluant pour le chœur d'une très délicate vocalise bouche fermée à une formulation très éclatante. Cette partie presque exclusivement chorale, spartiate de rigueur janséniste mais intense de recueillement, culmine avec le minimaliste Deer's cry d'Arvo Pärt chanté avec une ferveur non dissimulée.

L'orchestre Les Siècles peut alors prendre place – pour l'étrange méditation ivesienne de la Question sans réponse, et surtout pour une interprétation très finement registrée confiée aux seuls vents du premier tableau de l'Ascension, signé .


Il faut saluer la remarquable prestation de la soprano , déjà bien connue et fêtée, notamment à l'Opéra de Paris, et entre autre lauréate – et prix du public – du Concours Reine Elisabeth de chant 2018 : elle a l'exacte tessiture et la puissance vocale requise (eu égard au seul extrait distillé ce soir) pour rendre justice à l'entier cycle des Poèmes pour Mi de Messiaen, dans la droite succession d'une Michelle Command ou d'une Françoise Pollet – et plus encore marque, de sa subjuguante personnalité, ses interventions tour à tour tranquilles ou plus tourmentées au fil du Stabat Mater de Francis Poulenc. De cet absolu chef d'œuvre quasi monacal du maître français, les forces en présence donnent sous la direction inspirée de Matthieu Romano une poignante interprétation, d'un sidérant dramatisme mêlant au fil des douze numéros de la partition, concentration expressive et théâtralité extravertie, à l'image même du compositeur.

En guise de bis, instrumentistes et chanteurs se joignent pour symboliquement chanter tous ensemble à un public conquis, le « Toutes les nuictz » de Clément Janequin : un au revoir d'ailleurs plus souriant et sympathique que réellement orthodoxe ou convaincant !

Crédits photographiques : © Christine Ledroit-Perrin ; et © Jean-Pierre Hakimian ; © Cmireb-Rtbf

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