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Carmen retrouve l’Opéra Comique, sous la direction de Louis Langrée

On fêtera bientôt les 150 ans du chef-d'œuvre, mais Carmen de Bizet retrouve dès cette saison la maison d'opéra qui l'a vu naître en 1875, dans une nouvelle production du directeur de l'Opéra de Zurich , mise en valeur à l'orchestre par l'actuel directeur de l'Opéra Comique, .

C'est la première fois qu'il dirige une production dans son théâtre depuis qu'il en est le directeur ; devait attendre ce moment, tant il lance vigoureusement l' à la seconde même où il pose le pied sur le podium ! Dynamique, nerveuse, émotive, pleine de soleil et d'Espagne, en proie aux doutes, sensuelle, Carmen est tout cela sous les mains du chef, qui profite de l'ensemble sur instruments d'époque pour procurer un son aéré et rapide à la partition symphonique. À peine pourra-t-on regretter la flûte un peu dure de l'Entr'acte de l'acte III, moins sensible qu'en bis récemment à la Philharmonie, ou une percussionniste plus vive aux timbales qu'aux castagnettes. Pendant toute la représentation, l'orchestre est le principal protagoniste sous cette direction murie, d'un chef qui avait dirigé l'œuvre à Glyndebourne en 2002 et encore au Met de New-York en 2019.

Pour la mise en scène, coproduction avec Zurich aidant, on a fait appel à son directeur . Mais si le plateau nu, ouvert dès l'entrée du public en salle, laisse présager une lecture dépouillée concentrée sur le jeu d'acteur, les derniers actes viennent abîmer cette proposition par un concept fumeux. Au début, seul le rideau rouge à fleurs dorées souvent baissé, plus quelques chaises, servent de décors (Paul Zoller), tandis que les costumes (Gideon Davey) se réfèrent au livret à l'époque de son écriture et de celle de la nouvelle de Mérimée. La vision d'Homoki paraît sobre, sans volonté de relecture… sauf qu'il semble se confronter à l'époque et l'histoire. Mee Too est passé par là, une récente Carmen florentine a fait scandale avec sa fin modifiée : c'est elle qui tuait Don José plutôt que de se faire poignarder.

Alors Homoki semble devoir justifier la jalousie et le désespoir d'un homme, et invente un concept ridicule. Comme précisé, les deux premiers actes sont contemporains au livret, mais au retour d'entracte, le III place la caravane de contrebandiers dans les années de marché noir de la Seconde Guerre mondiale. Cette idée n'a aucun intérêt, mais au moins n'a-t-on pas trop décalé l'image par des costumes toujours anciens. Mais au IV, on entre à l'ère moderne et ses T-Shirts flashy, la corrida regardée sur une télé, le metteur en scène se justifiant ainsi dans le programme : si Don José tue Carmen, c'est parce que lui seul est resté dans l'ancien monde, tandis que les autres ont évolué… Le plus triste dans cette proposition, c'est qu'elle perturbe même le Chœur et l'excellente Maîtrise Populaire de l'Opéra-Comique, superbement préparés respectivement par Christophe Grapperon et Clara Brenier. Après un premier chœur des gamins fantastique de ferveur, ils sont tous un peu perdus à la scène de fête du dernier acte.

Dans la distribution, on retrouve la Carmen entendue à Bastille cet hiver, , très belle en scène, un peu courte en souffle dans ses deux grands airs, bien que cela évite toute exagération ou vulgarité. Son Don José joue le benêt, loin de la finesse d'un Kaufmann dans La Fleur que tu m'avais jetée ou de la puissance d'un Alagna dans la scène finale, où il se montre très engorgé. L'Escamillo à la voix de stentor de est aussi en décalage par rapport à la mise en scène, peu contrebalancé par le Zuniga peu subtil de , auquel on préfère le Moralès de . Les femmes trouvent deux bonnes comparses avec les Frasquita et Mercédès de et , mais on retient sans conteste la très belle Micaëla d'. Dans un français impeccable, la soprano kosovare bientôt Juliette à Rouen débute avec tendresse, pour magnifiquement offrir son air Je dis que rien ne m'épouvante comme le plus beau moment vocal de la soirée.

Presque complète jusqu'au dernières représentations de mai – sans mais avec la cheffe Sora Elisabeth Lee pour les deux dernières – cette Carmen sera visible sur Arte Concert à partir du 21 juin.

Crédits photographiques : © Stefan Brion / Opéra Comique

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