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Faust + Don Juan = Tom Rakewell

Production déjà montée en 2001 sur cette scène, ce Rake's progress détonne dans le paysage lyrique parisien actuel.

La mise en scène ne respecte pas le livret au pied de la lettre. Du Londres du XVIIIe siècle, nous nous retrouvons dans l'Amérique des années folles, les références nombreuses à la capitale britannique présentes dans les paroles passant à la trappe. Pourtant la vision d' ne déforme pas le propos de Auden et Kallman. Tom Rakewell est présenté comme un gamin irresponsable, faible d'esprit. Nick Shadow n'est pas vraiment une incarnation du diable, mais plutôt un être cynique et pervers. Anne Trulove, qui peut être rapidement assimilée à une idiote aveuglée par l'amour, gagne ici en grandeur d'âme. Bref une lecture intelligente, loin du premier degré basique, loin du trash actuellement en vogue vers Bastille : les héros ne se tartouillent pas de merde pendant leur grand air sur fond de cour désaffectée d'un HLM de l'ex Berlin-est. Les décors de sont naïfs jusqu'au kitch, participant à cet effet de distanciation, de théâtre dans le théâtre.

Si sur scène la réussite est évidente, coté musique nous ne pouvons qu'être circonspect : l'excellent côtoie l'indigent. Trois défauts essentiels viennent gâcher nos oreilles et la soirée : est-il besoin de rouler les «r» en anglais, surtout quand les chanteurs sont anglophones ? Est-il besoin de diriger The Rake's progress comme le Sacre du Printemps, en mettant en avant l'aspect rythmique au détriment de la mélodie ? Est-il besoin de donner un second rôle à une cantatrice retraitée presque aphone ?

Le plateau est pourtant de haute volée : a les capacités vocales et physiques du rôle de Tom Rakewell. Les aigus sont faciles, l'élocution évidente, l'aisance scénique tombe sous le sens. fait ce qu'elle peut avec l'impossible tessiture d'Anne Trulove (rôle écrit pour Elisabeth Schwartzkopf, qui détestait cet opéra), et elle peut faire beaucoup de choses : le timbre, légèrement acidulé, rayonne dans les aigus. et donnent quelques signes de fatigue vocale, des aigus tirés pour l'un, une émission creuse pour l'autre, mais avec une présence scénique indéniable. , impayable en mère maquerelle, n'a plus que l'ombre de sa voix. Enfin on pourrait pardonner quelques imperfections à une chanteuse effectuant un remplacement au dernier moment. Mais les accumule : vocalises savonnées, voix hétérogène, répliques oubliées (dont plusieurs phrases de son arioso «I shall go back»), décalages rythmiques (premier piège de toute partition de Stravinsky), … Fâcheux déséquilibre par rapport au reste du plateau, plutôt bien en voix, surtout pour un rôle (Baba the Turk) qui n'est pas écrasant.

L'orchestre n'est pas à la fête non plus. Stravinsky ne l'a pas ménagé, par une écriture virtuose qui ne se relâche que lors des interventions du clavecin (le néoclassicisme est poussé jusqu'à l'extrême : l'opéra est découpé en récitatifs et airs comme au XVIIIe siècle). L' pédale dans les moments les plus rapides, et la direction de n'aide pas : à force d'exagérer les accents rythmiques, son orchestre sonne dur et sec, et couvre souvent les chanteurs. Puisque l'écriture vocale du Rake's progress n'a rien à voir avec celle de Noces, l'écriture orchestrale n'est pas celle du Sacre. Toute l'ironie propre au Stravinsky néoclassique, les fausses basses continues, les effets pompeux, les fanfares décalées, est gommée.

La mariée, pour la première production lyrique du TCE de la saison 2007/08, était presque trop belle. Mais cela nous apporte un peu de fraîcheur dans une année lyrique quelque peu morose. Comme à l'accoutumée, les salles parisiennes ne communiquant pas, The Rake's progress sera présenté en mars à Garnier mise en scène par Olivier Py.

Crédit photographique : (Nick Shadow), (Tom Rakewell), (Trulove), Olga Peretuatko (Anne Trulove) © Alvaro Yañez

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