- ResMusica - https://www.resmusica.com -

L’umana fragilità d’Ulysse au théâtre des Champs-Élysées

Entre une mise en scène souvent ridicule, une tête d'affiche en la personne de qui n'est pas à la hauteur de nos espérances, une prise de rôle de en Pénélope honorable mais sans plus, et notre frustration de voir de brillants chanteurs cantonnés à des seconds rôles, c'est déçue que nous sortons du théâtre des Champs-Élysées après la première de cette nouvelle production de l'opéra de Monteverdi, Il ritorno d'Ulisse in Patria.

Ne nous mentons pas : Il ritorno d'Ulisse in Patria est long… trop long. La faute à qui ? Pas à Monteverdi qui dès qu'il se trouve sur un texte fort (la lamentation de Pénélope est un modèle du genre), arrive à déployer tout son art. Plutôt à qui n'a pas su offrir au compositeur suffisamment de successions rapides d'affetti pour qu'il arrive à exalter musicalement son texte. Mais, en 1640, savait-on réellement ce qu'était un livret d'opéra ?

Chez Monteverdi, Ulysse n'est pas Orphée. Alors que ce dernier est mythique et poétique, le héros du soir est un homme à part entière, pathétique et désemparé. Il ritorno d'Ulisse in Patria, c'est « le grand théâtre du monde » de Calderón où se côtoient le tragique et le cocasse, le sentimental et la frivolité. Le langage musical épouse les caractères des protagonistes et les modes d'expression sont choisis en fonction des situations. C'est donc un opéra typiquement « baroque » qui nous est proposé, où le goût du contraste et l'inconstance sont glorifiés. Mais la mise en scène manque cruellement de finesse et joue constamment avec les mêmes ficelles pour amuser le public, des anachronismes et des éléments de comics et de culture pop, rendant in fine tout cela bien ennuyeux. Le regard de apporte peu de valeur ajoutée et rentre trop souvent dans la facilité par des lourdeurs auxquelles nous ne pouvons adhérer (le « bar de l'Olympe », l'énorme burger destiné à Irus, la tuerie des prétendants à coups de bulles de bandes dessinés…). Parfois ridicule, parfois incohérente, cette mise en scène dessert malheureusement trop souvent l'œuvre, tout comme les costumes, pas toujours heureux, le déguisement d'Ulysse avec sa barbe blanche en première ligne.

Constamment embarqué dans de mauvaises blagues, en Irus n'est aucunement aidé par tout ce qui l'entoure, même si son monologue lui donne l'occasion de démontrer une belle qualité de timbre et de souffle. Malgré une articulation soignée, l'incarnation de Matthias Vidal en Télémaque n'est pas vraiment marquante, souffrant parfois d'un manque de justesse. Mais pour les seconds rôles, le reste de la distribution vocale est presque indécente. La merveilleuse qui n'a que trois phrases à chanter dans le rôle de Junon : vraiment ? Nous aimerions tellement la voir désormais assumer un rôle principal. La talentueuse dans le rôle de La Fortune et Mélantho : sérieusement ? Son timbre joliment cuivré et son jeu plein d'élégance n'ont pas été éprouvés un seul instant, accompagnés d'une main de maître par un partenaire tout aussi exaltant en la personne d'. Le trio parfaitement homogène des prétendants de Pénélope, , et , est sublime en assurant de belles vocalises et un engagement scénique notable. Seule la prestation d' (L'Amour et Minerve) nous donne la sensation que la soprano peut s'épanouir pleinement dans les rôles qui lui ont été attribués dans cette production, au contraire de la majorité de ses partenaires. Sa parfaite projection et sa voix agile permettent d'apprécier sans mesure des trilles et des vocalises parfaitement maîtrisées.

Mais Il ritorno d'Ulisse in Patria doit son immortalité à l'expression des « passions » entre Pénélope et Ulysse. C'est une prise de rôle assez réussie pour même si, peu expressive, à aucun moment elle ne nous fait frissonner. Malgré une ligne de chant perfectible bien que le timbre soit agréable, elle sait être à la hauteur de son immense monologue initial et du petit arioso mélancolique Torna il tranquillo al mare, l'un des plus sublimes de Monteverdi.

L'errance d'Ulysse dans sa méditation O sonno, o mortal sonn, fratello della morte, est la transcription de l'une des conceptions les plus chères de la musique baroque : l'umana fragilità. La fragilité humaine… voilà comment nous pouvons résumer la prestation de . Dans ses récitatifs, notamment l'émouvant monologue de réveil, le ténor franco-mexicain démontre un engagement dramatique indéniable. Mais, à cause de sa santé vocale défaillante depuis 2009, date où il avait été obligé d'annuler la première de Werther à l'Opéra Bastille, la chaleur du timbre de l'ancien partenaire d'Anna Netrebko n'est plus qu'un lointain souvenir. Sa difficulté à vocaliser, son manque de legato, ses sons exagérément ouverts et parfois éraillés, des aigus compliqués à atteindre… La fatigue se fait clairement sentir au fur et à mesure de la représentation.

Mais le traitement orchestral d' est sans conteste ce qu'il y a de plus réussi dans cette nouvelle production. Composé de superbes instruments anciens, propose un continuo précis, totalement voué aux artistes sur scène, et une interprétation minutieuse où tout le charme de la musique baroque s'épanouit.

Crédits photographiques : © Vincent Pontet

(Visited 1 349 times, 1 visits today)