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Patricia Petibon unique et multiple dans Les Contes d’Hoffmann à La Monnaie

Plombée par un orchestre défait, la mise en scène de Warlikowki vaut surtout pour l'écrin qu'il offre à une interprète majeure.


Les Contes d'Hoffmann
, quelle formidable occasion pour un metteur en scène de montrer tout ce dont il est capable ! C'est à que la direction de la Monnaie a demandé de s'y confronter. Cela fait presque vingt ans que Warlikowski travaille à l'opéra, treize ans depuis ses débuts hors de Pologne : le choc esthétique qu'ont pu constituer ses premières productions parisiennes, Iphigénie en Tauride ou Parsifal, n'est plus vraiment là, et son inspiration est devenue un peu inégale, une très belle Salome à Munich rachetant son pâle Don Carlos parisien : ces Contes sont un entre-deux, plus troublants que la sage mise en scène parisienne de Robert Carsen, mais bien moins vertigineux que le spectacle de Marthaler à Madrid et Stuttgart.

Le décor de est d'abord limité à une pièce miteuse, jonchée de mouchoirs en papier abandonnés là par un Hoffmann en bien mauvais point ; il faudra que Stella vienne l'en sortir pour que ces murs écrasants s'ouvrent pour révéler de plus larges perspectives, un cadre de scène tout aussi doré que celui de la Monnaie, un bar chic, des gradins pour le chœur. Un écran montre en fantasme à multiples visages, ingénue, star, executive woman : la caméra semble à la recherche de son âme, mais le personnage ainsi créé rappelle bien des personnages féminins des spectacles de Warlikowski : sous la surface brillante, il y a une détresse, une solitude, une dépendance au regard de l'autre. Cette Stella, telle Lulu, ne sort pas indemne de son statut d'icône.

L'acte d'Antonia est certainement le plus réussi : au lieu des violons de Crespel, nous voilà dans un studio d'enregistrement, avec le serviteur Frantz en preneur de son qui se verrait bien rock star. Quand Antonia s'effondre à la fin de l'acte, on sait que ce n'est que du théâtre, mais elle ne se relève qu'après un long moment. Warlikowski multiplie les doubles de l'héroïne, girls impeccables et stéréotypées, rousses flamboyantes, mais l'héroïne, elle, est une, et c'est elle qui concentre toute l'attention de Warlikowski.

L'acte de Giulietta, avec ses insolubles problèmes structurels et philologiques, est par comparaison bien négligé – et même mutilé : il se finit par le duo du reflet entre Hoffmann et Giulietta, sans que le sens que voulait lui donner Warlikowski n'apparaisse très clairement. Plutôt que de prendre en charge toute l'œuvre comme un arc narratif unique, Warlikowski se contente d'enchaîner des moments souvent très intéressants, et le spectacle est comme toujours d'une très grande beauté plastique (et tant pis pour ceux qui ne voient la beauté que dans le passé !), mais cette œuvre mérite encore mieux.

Ce n'est pas de la fosse qu'il faut espérer des couleurs supplémentaires. L'orchestre de la Monnaie dirigé par ne propose pas mieux qu'un simple accompagnement. Il y a sans doute de la part du chef la volonté de proposer une interprétation en harmonie avec la scène, soulignant les aspects les plus sombres de la partition, mais le résultat n'est pas là : les tempi sont souvent lents, sans que le travail du son justifie cette lenteur ; les vents et les cuivres restent trop souvent au second plan, ce qui est d'autant plus dommageable que les cordes montrent une regrettable tendance à l'acidité. Le si émouvant final manque son effet à cause de l'impression de flottement entre le chœur et l'orchestre, c'est un comble.

Les voix éloquentes de

La distribution proposée par la Monnaie vaut heureusement beaucoup mieux. Les quatre diables de Gabor Bretz manquent hélas beaucoup de relief, le problème étant moins un timbre plus clair qu'à l'accoutumée qu'un investissement insuffisant sur le texte ; Warlikowski en fait tantôt un barman impassible et manipulateur, tantôt un joker franchement inquiétant. L'inspiration cinématographique est partout présente, mais il n'est pas sûr qu'elle soit ici autre chose qu'une simple citation sans plus de profondeur. Il est le seul de la distribution à être peu à l'aise avec le français, et ce manque de relief déséquilibre l'ensemble. Les petits rôles, eux, sont sensationnels : il est toujours émouvant de voir , cette fois en Luther et surtout en Crespel, et son interprétation sensible et forte s'appuie sur une voix qui lui permet encore parfaitement de tenir son rôle dans les ensembles de l'acte d'Antonia. est un luxe absolu en mère d'Antonia. , dans le contexte particulier de cette mise en scène (et, hélas, de cette direction), ne peut être le plus drôle des valets : il n'en est que plus inquiétant, et aussi présent par la voix que par le jeu. Avec Niklausse, Warlikowski construit un personnage d'une souplesse insinuante, lui aussi à visages multiples d'une féminité plus ou moins affirmée, et lui donne une silhouette marquante ; sa voix n'a pas tout à fait la même présence, mais elle reste efficace.

Sans doute à cause des faiblesses de la fosse, est un Hoffmann un peu moins percutant qu'il n'avait su l'être à Madrid et Stuttgart dans la mise en scène de Marthaler, mais il n'en reste pas moins un interprète idéal de ce rôle, à la fois vaillant et délicat ; son Hoffmann a la fraîcheur des premières fois, celle d'un homme un peu perdu mais sincère, tombant naïvement dans le premier piège venu. Face à lui, il a une interprète unique, défi considérable où se sont souvent perdues les chanteuses téméraires. n'en est pas ici à ses débuts ; il est bien naturel qu'une voix comme la sienne n'en reste pas aux couleurs légères de ses débuts, mais on ne peut qu'admirer ce qu'elle est devenue : la voix a gagné en densité, mais sans s'alourdir. La virtuosité d'Olympia n'a plus le brio aérien qu'on y entend souvent, mais les notes sont là sans effort apparent ; son Antonia est un sismographe émotionnel, et sa Giulietta brille de mille feux : voilà le genre d'interprétation qui fait oublier toutes les limites d'une soirée qui promettait plus qu'elle ne peut tenir.

Crédits photographiques © Bernd Uhlig

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