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Double sacre à Versailles pour Pygmalion

C'est avec une prégnante nostalgie que l'on se remémore Pygmalion investir les lieux emblématiques du Château de Versailles l'année dernière : le Vespro de Monteverdi dans la Chapelle Royale, Stravaganza d'amore! dans la Galerie des Glaces. Le format DVD judicieusement choisi par le label discographique maison donne à voir la beauté en action.

L'on n'avait eu qu'éloges pour le concert du 9 février 2019. Le DVD fait entendre ce que l'on avait entendu, mais fait aussi voir ce que l'on n'avait pas vu : le rayonnement galvanisant et communicatif d'un chef conscient de la beauté d'une phalange orchestrale (la folle technicité des deux violons) et d'une équipe vocale (l'interminable Amen piano conclusif de l'Ave maris stella) de tout premier ordre. Comme Monteverdi à Venise, spatialise le chef-d'œuvre à Versailles, envoyant à travers les airs le Duo Seraphim, Audi caelum. Un jeu de cache-cache qui culmine dans le Gloria patri final, sur un vertigineux duo aérien entre (qui aura chanté la quasi-totalité du chef-d'œuvre par cœur) à la Tribune Royale et , à celle du Grand Orgue. Le gros plan permet d'approcher l'art délicat et serein d' et de , la singularité troublante de , la personnalité de quelques noms émergents (, , , …).

Cette version d'une indiscutable virtuosité, mise en ombre et lumière par , sortant quelques mois après l'échappée belle du geste universaliste de Simon-Pierre Bestion (CD Alpha), fera l'effet d'un retour à une certaine tradition. Celle de Pygmalion, toute en montée en puissance, innove çà et là (quelques moments transitoires rajoutés, comme celui hypnotique et suspendu – très Bed d'Einstein on the beach – par ) jusqu'à un Magnificat qui boucle la boucle en majesté par le retour de la toccata orphéique introductive. Aussi dissemblables l'une que l'autre, les visions de La Tempête et de Pygmalion témoignent de l'ahurissant niveau interprétatif atteint par ces deux enfants de la Troisième génération baroque.

Dans la foulée, la quasi-même équipe donnait Stravaganza d'amore! que le CD (Clef d'or ResMusica) paru en 2017 avait révélé. Stravaganza d'amore! appartient à la veine conceptuelle de Pygmalion. Comme il l'a fait pour Libertà!, Enfers, Les Funérailles Royales de Louis XIV, Les Filles du Rhin, Mozart et les Weber Sisters, et pour le Requiem de Mozart à Aix, aime à pratiquer le crossover, mais il procède avec une conviction et un sens des enchaînements à même de faire fondre les réserves des réfractaires au genre. D'autant qu'ici, le disparate prend alibi sur celui en vogue dès 1531 à la cour des Médicis à Florence, avant le premier opéra. Pour cerner l'environnement musical de la cité Médicéenne, pré-Orfeo (Mantoue 1607), quatre intermèdes « fantasmés » (L'Extravagance de l'Amour, La Fable d'Apollon, Les Larmes d'Orphée, Le Bal des amants) convoquent, outre Monteverdi, Peri (sa très récitative Euridice bénéficie ici d'un traitement autrement spectaculaire que bien des intégrales existantes), Caccini, Fantini, Malvezzi, Gagliano, Marenzio, Oroglio, Allegri, Giramo, Buonamente et Cavalieri pour un bien-nommé O che nuovo miracolo conclusif. La richesse d'une interprétation sans temps mort pallie une relative absence de tubes et c'est avec une profonde émotion que l'on plonge dans cette très pédagogique évocation de la naissance de l'opéra.

La caméra de François-René Martin, émerveillée par le lieu autant que par ceux qui s'y produisent, captive de bout en bout, d'une superbe ouverture avec travelling ascendant aboutissant à l'armada de lustres servant d'écrin à un déjà en action, jusqu'au pénultième recul dans la profondeur de la Galerie, incrustant progressivement les exécutants dans le cristal. Les gros plans magnifient instrumentistes et chanteurs, , Ninfa montverdienne merveilleusement choyée par le trio Wilder/Gonzalez Toro/ Brooymans se voyant même autorisée à de longs regards-caméra au bord des larmes sur La Lettera amorosa.

Quelques mois après ces deux coups d'éclat, Pygmalion allait plonger corps et âmes dans la grande aventure humaine du Requiem de Mozart vu par Romeo Castellucci. Une très grande année pour un très grand ensemble.

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